Neuf nominations aux Oscars, un prix d'interprétation collectif pour le trio Nicole Kidman - Julianne Moore - Meryl Streep à Berlin, un Pulitzer pour le roman dont le film est adapté: comment résister à The Hours? Voilà un de ces films que tout signale comme une œuvre incontournable et, pourtant, on a envie de dire que le cinéma, le vrai, ce n'est pas ça, tant The Hours sent la fabrication plutôt que l'inspiration. La recette: engagez une brochette de grands professionnels, confiez-leur un matériau à haute valeur culturelle ajoutée et veillez à ce que le résultat flatte un certain goût moyen avec ses visées philosophiques clairement énoncées. Un film de producteur malin (Scott Rudin), en somme, mais sûrement pas un film d'auteur. A condition de ne pas confondre, on peut reconnaître que le produit est habile. D'où les Oscars, qui ne sont pas décernés par des imbéciles, mais par des pros, garants d'un certain consensus moyen, à leurs pairs.
La grande idée du film comme du livre est de mêler trois histoires qui se déroulent dans des temps et des lieux différents par un système d'échos et un seul lien objectif: le roman de Virginia Woolf Mrs. Dalloway (1925), qui relate avec une rare intériorité une journée dans la vie d'une femme quinquagénaire, alors qu'elle se prépare à recevoir le soir même la bonne société londonienne. Le roman de Michael Cunningham (qui a adopté le titre de travail de Virginia Woolf), quant à lui, fait de l'écrivain une de ses héroïnes, reprend certains motifs (les 24 heures, l'invitation, le suicide, etc.) et développe aux Etats-Unis le motif d'une transmission diffuse à travers le siècle. Au-delà de l'influence d'une œuvre sur des vies ultérieures, c'est surtout d'émancipation féminine et d'affirmation homosexuelle qu'il est ici question – dans la lignée d'une réappropriation de la romancière bisexuelle par les féministes.
Après avoir débuté par le propre suicide de Virginia Woolf (en 1941) dans une rivière, tout le film évoque l'idée d'un flux, symbolisé par la musique en continu de Philip Glass. On reprend donc avec une Virginia Woolf névrosée (Nicole Kidman) en 1923, durant l'écriture de son roman, qui reçoit avec son mari dans leur maison de banlieue la visite de sa sœur et de sa marmaille. Dans le deuxième volet, à Los Angeles en 1951, Laura Brown (Julianne Moore), une brave épouse américaine, prépare le gâteau d'anniversaire de son mari puis reçoit la visite d'une amie avant de s'enfermer dans une chambre d'hôtel dans l'idée d'en finir. Enfin, à New York de nos jours, Clarissa Vaughan (Meryl Streep), une éditrice qui vit avec une amie, prépare un dîner pour fêter le prix littéraire de son ex-mari Richard (Ed Harris), un homosexuel mourant du sida.
Tout ceci est certainement très subtil et très adulte et, pourtant, au plus tard lorsque arrive la «révélation» qui boucle le tout (à savoir que Richard n'est autre que le fils de Laura Brown), le film n'en devient que plus suspect: en moins d'un siècle, tout le monde est devenu homo et la jeune génération, représentée par Julia (Claire Danes), la fille parfaitement équilibrée de Clarissa et de Richard, peut enfin affronter un avenir radieux libérée de toute oppression masculine! C'est là une lecture simplificatrice, j'en conviens, mais on n'en est pas loin. Le pire étant que, mise à plat, la structure alambiquée n'ouvre pas de nouveaux horizons, comme c'est le cas chez Atom Egoyan, mais ne révèle guère que ses artifices.
Réalisé avec soin, quoique sans réelle finesse, par le Britannique Stephen Daldry (Billy Elliott), le film vaut en dernière analyse surtout pour sa magnifique distribution. Parmi ses têtes d'affiche, c'est encore Nicole Kidman, étonnante d'intensité et méconnaissable grâce à un faux nez, qui tire son épingle du jeu. De quoi prendre conscience de la limite que peut constituer un joli petit nez en trompette. Parions que dans quelque temps, on retiendra surtout The Hours, film plastique par excellence, pour cette percée dans l'art de la prothèse.
The Hours, de Stephen Daldry (USA, 2002), avec Meryl Streep, Julianne Moore, Nicole Kidman, Ed Harris, Toni Collette, Claire Danes.