«La librairie est un lieu de vie»

Ouverture Payot ouvre une librairie de 1800 mètres carrés rive gauche à Genève

Avec un café et l’enseigne Nature & Découvertes intégrés, la convivialité est de mise

Lausanne et Genève ne sont pas des villes concurrentes. Non, pas du tout. Simplement, les amoureux des livres genevois jalousaient secrètement les Lausannois pour être dotés de «la plus grande librairie de Suisse romande» avec Payot Pépinet. Dès aujourd’hui, Genève rejoint la capitale vaudoise avec l’ouverture d’un Payot de 100 000 références, rive gauche. Située dans l’ancien bâtiment d’UBS, rue de la Confédération, la librairie se déploie, avec beaucoup d’élégance, sur quatre niveaux. Pascal Vandenberghe, directeur de l’enseigne, fait le guide.

Le Temps: Ça y est, treize ans après Lausanne, Genève a enfin sa grande librairie?

Pascal Vandenberghe: Dès 2010, le constat était clair. Genève disposait de deux librairies mais celle de Chantepoulet était trop grande et mal placée et la seconde, rue du Marché, était très bien placée mais trop petite. Or la particularité de Genève est d’avoir deux rives, c’est-à-dire deux mondes. Il faut une librairie de chaque côté. D’où l’ouverture de Payot Cornavin, rive droite, fin avril 2014 avec 20 000 références. C’était la première phase du projet genevois. La deuxième phase, c’est l’ouverture aujourd’hui de ces 1800 mètres carrés rive gauche avec 100 000 références.

– Comment se porte la librairie de Cornavin?

– Après des débuts en fanfare, la curiosité des clients s’est un peu tarie. Noël a été faible, la librairie n’était pas encore identifiée comme un lieu où on peut aussi faire des cadeaux. Mais depuis janvier, la librairie a enfin atteint la place que l’on attendait dans notre classement, la quatrième, après Pépinet Lausanne, l’ancien Genève Rive gauche et Neuchâtel.

– Pour convaincre le client d’entrer dans une librairie en 2015, il faut le plus grand choix possible?

– C’est bien le premier objectif de cette nouvelle librairie. Avec les deux anciennes librairies à Genève, nous avions des offres redondantes limitées à 50 000 références en français. Or aujourd’hui, avec la concurrence de la vente en ligne, le besoin d’immédiateté de l’accès au livre s’est accru. Trouver le livre immédiatement compense les quelques francs supplémentaires du prix.

– Pour la première fois, un café est intégré au magasin.

– Nous voulions le faire depuis longtemps mais nous n’avions pas jusqu’ici l’espace nécessaire. Le client se détermine sur trois critères. Le premier c’est le prix. A cause du coût de la vie en Suisse, nous ne pouvons pas être compétitifs par rapport aux prix français. Nous devons donc pondérer ce critère en survalorisant les autres qui sont l’offre et l’expérience-client. Les librairies doivent être en elles-mêmes un but de visite en étant bien situées, confortables. Les gens doivent s’y sentir bien, prendre un café, assister à des rencontres avec des écrivains.

– Les dédicaces d’écrivains sont devenues indispensables?

– En 2011, nous organisions 100 séances de dédicaces par an sur l’ensemble du réseau. Depuis 2013, nous en sommes à 500 par an. Une rencontre avec un écrivain ne peut pas s’acheter sur Internet. Les librairies sont des lieux de rencontre, de vie. En tant que passeurs de textes, nous sommes aussi un acteur culturel dans la ville.

– Pourquoi inclure aussi l’enseigne Nature & Découvertes? Les livres tous seuls ne suffisent plus?

– Nous avons testé la complémentarité des enseignes Payot et Nature & Découvertes à Fribourg dès 2012. Cela fonctionne bien, toute une partie de la clientèle vient pour les deux. Cette offre participe de l’expérience-client. Il ne faut pas confondre diversification et dispersion. Nous n’allons pas vendre des aspirateurs. Des cahiers Moleskine, oui.

– Deux grandes chaînes de librairies et de produits culturels ont fermé en France ces dernières années, Chapitre et Virgin. Qu’est-ce qui vous permet d’être optimiste?

– La stratégie que je mène avec Payot est strictement inverse à celle menée par ces deux enseignes. Ces chaînes ont cru que le livre allait connaître le destin du disque. C’était une erreur. Ils avaient donc réduit l’offre des livres en la concentrant sur les best-sellers. Ils ont proposé des produits qui n’ont rien à voir avec le livre. Ils ont réduit le personnel et abaissé la compétence des libraires en centralisant les achats. Tous leurs magasins proposaient la même offre. Nous plaçons la compétence des libraires et la qualité de l’accueil en première ligne. Et nous misons sur une offre la plus large possible. Toutes les librairies ont une rentabilité relativement faible. En se retrouvant rachetés par des fonds de placement américains, Chapitre et Virgin ont été soumis à des obligations de rendement telles qu’ils ont dû tuer leur outil.

– Face au franc fort, vous avez obtenu une nouvelle baisse des prix des diffuseurs?

– Ils ont réagi rapidement. Avec Patrice Fehlmann, directeur de l’Office du livre, nous avons fait «front commun» face aux diffuseurs. Nous représentons 80% du marché à nous deux. Gallimard, Flammarion, Interforum, Servidis et Dargaud ont accepté de baisser leurs prix de 5 à 10% et surtout de compenser nos pertes de marges. En 2012, les prix avaient déjà baissé de 15%. Cela fait une baisse de 20 à 25% en trois ans. Tandis que nos charges, elles, ne baissent pas. Les clients ont souvent du mal à le comprendre.