Les Nouveaux Commanditaires arrivent en Suisse

Art Depuis un peu plus de vingt ans, quelque 400 projets sont nés en France et en Europe grâce à une concertation citoyenne

Une association est née pour faire vivre ce protocole d’abord en Suisse romande

Un carré rouge perdu dans la végétation du plateau de Langres, en Haute-Marne, «tableau-refuge» signé par Gloria Friedmann; un petit kiosque à musique aimablement biscornu derrière l’Opéra de Marseille, œuvre sonore signée par le duo Christophe Berdaguer & Marie Péjus; un pigeonnier en forme de capsule orange imaginé par Matali Crasset près de Lille. Voilà quelques exemples d’interventions artistiques sur le domaine public qui ont vu le jour en France selon un principe révolutionnaire. Ces projets ne sont pas nés d’une commande publique habituelle venue d’une mairie ou d’une région. Un particulier qui souhaitait confier à un artiste la conception d’un refuge en pleine nature, des commerçants marseillais, une association de colombophiles en ont eu l’initiative. Tous ont fait appel aux Nouveaux Commanditaires.

C’est un photographe belge qui a développé ce concept, en 1990. François Hers, né en 1943 à Bruxelles, établi en France depuis 1968, défendait déjà depuis près de trente ans de nouvelles formes de relations entre l’art et la société. Dans les années 1980, il a conçu et dirigé la Mission photographique de la Datar, un organisme chargé de l’aménagement du territoire. Une formidable banque de données de 2000 images a ainsi été constituée par une trentaine de photographes qui ont quadrillé la France.

Le Protocole des Nouveaux Commanditaires a, lui, une autre ampleur. Mis en œuvre dès 1991 grâce à la Fondation de France, il invite les citoyens à devenir des forces de proposition. Aujour­d’hui, quelque 400 projets ont vu le jour ou sont en cours de réalisation en France et en Europe. «Confronté à une problématique d’identité, de territoire, un groupe de personnes pense que l’art peut être une réponse, explique Charlotte Laubard. Il va se tourner vers les Nouveaux Commanditaires, qui délégueront un médiateur.» La jeune femme est la première à être investie de cette charge de médiation en Suisse. Une association vient en effet d’être créée pour importer le concept.

De façon tout à fait cohérente avec cette idée forte d’étendre la responsabilité de l’art au-delà des cercles habituels, l’initiative est venue d’une personnalité un peu extérieure. Aude Vermeil dirige l’association genevoise Fonction: cinéma. Elle raconte: «Lors de mes études aux Beaux-arts de Genève, je me suis liée d’amitié avec Catia Riccaboni, qui est devenue responsable des programmes culturels de la Fondation de France. Depuis des années, elle me parle des projets ainsi réalisés. Comme j’ai toujours eu beaucoup de foi dans le fonctionnement collectif, j’étais enthousiaste. Quand j’ai vu les Nouveaux Commanditaires œuvrer en Belgique, je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison pour que nous soyons les derniers.»

Rodée à la politique culturelle, Aude Vermeil consulte, fédère. Elle a organisé en octobre dernier une soirée d’information à Fonction: cinéma avec François Hers, et Xavier Douroux, codirecteur du Consortium de Dijon et médiateur depuis le début de l’aventure. Elle met sur pied l’association, ou Société suisse des Nouveaux Commanditaires, qu’elle préside. A ses côtés dans cette structure, Karine Tissot, à la tête du Centre d’art d’Yverdon-les-Bains, et Balthazar Lovay, qui dirige Fri-Art, à Fribourg.

«J’ai suivi plusieurs processus d’art public à Genève, pour les néons sur la plaine de Plainpalais, et le long du tram. J’ai pu voir les problèmes qui surgissent quand les projets sont décidés par l’Etat, même avec des commissions. Là, l’ensemble du processus est pleinement vécu en toute responsabilité par chacun», explique Karine Tissot. «Nous sommes loin des œuvres imposées aux habitants au milieu des giratoires de Martigny, réagit Balthazar Lovay. Ici, le processus est réellement démocratique. Dans le choix des artistes, il s’agit aussi de penser à des personnes capables d’écoute, de partage.»

Charlotte Laubard, récemment installée à Genève, a dirigé le CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux. Elle a aussi suivi des commandes publiques. Elle se réjouit d’être celle qui aidera les premiers commanditaires suisses à formuler leur demande, qui trouvera un artiste susceptible d’y apporter une réponse et assurera son autonomie, sa liberté d’action. Peut-être cela aura-t-il lieu à Genève. Mais elle espère très vite aussi en zone rurale, comme la moitié des réalisations françaises. Quant au financement des projets, le protocole veut que la recherche de fonds soit assurée avant tout par les initiants. Initiants, voilà un terme qu’on utilise beaucoup en politique suisse. Il peut désormais aussi prendre une dimension artistique et sociale.

«Dans le choix des artistes, il s’agit aussi de penser à des personnes capables d’écoute, de partage»