cinéma
«Il capitale umano» transpose en Lombardie un roman américain. Paolo Virzì en a tiré un impitoyable constat social

La nouvelle règle du jeu
Drame «Il capitale umano» transpose en Lombardie un roman américain
Paolo Virzì en a tiré un impitoyable constat social
Est-ce parce que l’événement clé du récit se déroule la veille de Noël que ce film sort ce même jour en Suisse romande? Personne ne rangerait pourtant Il capitale umano (Les Opportunistes en France) parmi les films de Fêtes susceptibles de resserrer les liens familiaux. Ce 11e opus de Paolo Virzì, maître actuel de la comédie italienne, est en effet un drame grinçant (comme il y a vingt ans son premier, La bella vita) qui brosse un vaste tableau de société. Ce qui ne l’empêche pas d’être emballant à sa façon.
Sa matière, le scénariste et réalisateur l’a pour une fois trouvée ailleurs, dans un roman de l’Américain Stephen Amidon: Capital humain (Stock, 2005). Un livre qui parlait de rapports humains faussés, gouvernés par la course à l’argent. L’histoire se déroulait certes dans le Connecticut mais était au fond universelle, de même que son contexte d’avant la crise est resté parfaitement valable après. D’où l’idée du cinéaste de la transposer de nos jours en Brianza – province la plus riche d’Italie, au nord de Milan. Avec un résultat plus convaincant que Le Loup de Wall Street et ses excès redondants.
Ici, nulle complaisance, plutôt une amère lucidité teintée d’ironie. Tout commence par un mystérieux accident: au retour d’une grande fête à laquelle il officiait, un serveur est renversé par la grosse cylindrée d’un chauffard qui prend la fuite. Flash-back. Six mois plus tôt, le petit agent immobilier Dino Ossola dépose sa fille Serena devant la magnifique villa de son petit ami Massimiliano et en profite pour faire la connaissance de son père, Giovanni Bernaschi, manager d’un hedge fund. Bientôt invité à participer à une affaire promettant un bénéfice de 40%, il y engage tous ses avoirs et s’endette même sans rien en dire à sa femme psychologue…
Quel lien entre ces deux histoires? C’est ce que le film va s’appliquer à révéler d’une manière plutôt originale, en reprenant par trois fois, selon trois points de vue différents. Au récit du petit opportuniste séduit par le bling-bling du prince de la finance s’ajouteront en effet ceux de l’épouse désœuvrée de ce dernier, qui se lance dans le soutien du théâtre local menacé de disparition, et enfin celui de Serena, qui n’est pas vraiment celle que les adultes croient. Tous se croisent en cette nuit fatidique à une fête scolaire qui voit Massimiliano en lice pour la désignation de l’élève le plus populaire du collège.
L’argent ne fait pas le bonheur? On connaît le dicton, souvent sans plus trop y croire, tant le monde des nouveaux super-riches est efficacement vendu comme un rêve. Il capitale umano lui redonne du lustre à point nommé. Luxe et frustration, envie et mépris sont ainsi devenus les règles du monde de ces adultes, dans un climat d’hypocrisie générale, tandis que sa jeunesse a encore une chance d’y échapper. Entre des mains moins habiles, tout ceci pourrait devenir terriblement lourd. Pas chez Virzì, virtuose qui lorgne ici du côté de Joseph Mankiewicz (Eve, Chaînes conjugales, La Comtesse aux pieds nus) après avoir puisé chez Germi, Risi et Wilder. Doté d’une conscience politique affirmée, l’auteur de Caterina va in cittá et Tutta la vita davanti n’est pas pour autant un dogmatique. De la comédie, il conserve ici la légèreté du trait et la pointe acérée.
Avec sa narration complexe et son style enlevé, sa direction d’acteurs est la clé de cette nouvelle réussite. Une poignée de scènes lui suffit pour saisir la vérité profonde de ses personnages: veulerie (Fabrizio Bentivoglio), insatisfaction (Valeria Bruni Tedeschi), morgue (Fabrizio Gifuni), prétention (Luigi Lo Cascio) ou bonne volonté (Valeria Golino). Pour autant, aucun n’est ridiculisé et chacun a ses raisons, comme autrefois chez Renoir. Pour les jeunes, on navigue entre l’assurance du nanti (Guglielmo Pinelli), la fragilité du marginal (Giovanni Anzaldo) et la détermination de Serena (Matilde Gioli) à faire les bons choix, envers et contre tout.
Ce que la structure met bien en lumière, c’est la compréhension fragmentaire de chacun, voire son inconscience pure et simple de ce qui se joue à côté. Mais aussi plus largement. Au contraire d’un autre film comparable qui vient de sortir en France, Nos enfants (I nostri ragazzi) d’Ivano De Matteo, le film de Virzì ne se laisse jamais réduire à un drame bourgeois hanté par une vague culpabilité. De l’emprise de l’argent-roi à l’abandon de la culture en passant par un mensonge quasi institutionnalisé, tout y est désigné avec une belle précision.
Clairement, l’Italie est aujour- d’hui confrontée à un gros problème de valeurs et de transmission entre la génération qui a voulu (ou subi) Silvio Berlusconi et celle des héritiers du désastre. En Paolo Virzì, cinéaste qui n’a pas oublié ses classiques, elle possède au moins un brillant chroniqueur de ce moment charnière de son histoire.
VVV Il capitale umano , de Paolo Virzì (Italie – France, 2014), avec Fabrizio Bentivoglio, Valeria Bruni Tedeschi, Matilde Gioli, Fabrizio Gifuni, Valeria Golino, Luigi Lo Cascio, Giovanni Anzaldo. 1h49.
Avec sa narration complexe et son style enlevé, la direction d’acteurs est la cléde cette réussite