Toute cette semaine, «Le Temps» fait le portrait de cinq personnalités africaines et afrodescendantes qui jouent un rôle important en Suisse.

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Il est 12h30 à Lausanne, la terrasse du Café du Simplon ne désemplit pas. Il nous faudra pourtant peu de temps avant d’apercevoir Pamela. Le pagne en Wax, élégamment posé sur ses cheveux surplombe les visages qui l’entourent. Son style est affirmé, son charisme naturel.

A 29 ans, l’historienne doctorante à l’Université de Genève prépare une thèse sur les circulations transnationales et les mobilisations de femmes noires d’Europe, dans les années 1970-1990. Elle est également à la tête, depuis quatre ans, de la plateforme littéraire Afrolitt qui revendique la littérature noire comme outil de réflexion critique. Groupes de lecture, événements littéraires, la jeune femme organise des rencontres de la Suisse au Ghana. «La démarche d’Afrolitt au départ était de mettre en avant la littérature pour aborder le changement, je me rends compte qu’elle peut aussi avoir un effet thérapeutique», relève-t-elle.

On la retrouve aisément sur le terrain lors des manifestations du 14 juin ou lorsqu’il s’agit de défiler contre le racisme et les violences policières. Afro-féministe assumée, défenseure d’un féminisme intersectionnel qui prend en compte les oppressions multiples auxquelles les femmes peuvent être confrontées, la jeune femme déplore sans tabous le manque d’engagement des hommes noirs dans cette lutte.

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«Cette position de femme noire où on se retrouve entre deux combats avec deux groupes potentiellement alliés politiquement, les autres femmes et les hommes noirs, est peu évidente. Il est important de savoir si tes alliés comprennent ta position, tes propres luttes et s’ils sont prêts à mettre des ressources là-dedans. Le combat antiraciste reste encore celui de l’homme noir cisgenre [dont l’identité de genre correspond au sexe attribué à la naissance] et hétérosexuel.»

La découverte du hip-hop

Si son discours est désormais franc, Pamela n’a pas toujours eu conscience de son engagement ni du combat qu’elle menait. Née à Genève, d’une mère suisse, allemande, espagnole et d’un père ghanéen, elle grandit loin des grands centres urbains, à Nyon puis à Chardonne. Pamela est «métisse» et sans cesse renvoyée à cette condition. D’abord dans la rue, «les gens pensaient que ma sœur et moi avions été adoptées», se souvient-elle, puis au sein même de sa famille, «mes cheveux ont été défrisés à l’âge de 5 ans. J’ai toujours l’image de ma mère avec ses mains dans ma chevelure essayant de la «discipliner» tandis que je brossais les siens lisses et blonds en fantasmant. J’ai eu une mère aimante et à qui je dois tout, mais qui me renvoyait inconsciemment au quotidien l’idéal de beauté: des cheveux lisses, blonds et des yeux bleus.»

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C’est lors de son adolescence que la jeune femme revendique son africanité, qu’elle développe à travers ses relations amicales et amoureuses. «J’ai commencé à rencontrer d’autres Noirs qui, eux, embrassaient leur culture, qui étaient fiers de leurs origines.» Un sentiment renforcé par l’émergence du hip-hop et de la black culture arrivés des Etats-Unis. «Cette popularisation m’a permis de me revaloriser en tant que femme métisse, claire de peau. Des femmes qui me ressemblaient étaient enfin mises en valeur, même si elles étaient hypersexualisées.» Une découverte à la fois nocive et salvatrice. «S’il n’y avait pas eu le hip-hop dans ma vie, je ne sais pas qui je serais aujourd’hui. Mais il est arrivé avec sa dose de toxicité», reconnaît-elle.

Pamela évolue alors dans un univers plus soul, des chanteuses telles que Jill Scott, Erykah Badu ou encore India Arie, porteuses d’un message valorisant de la culture noire, deviennent ses grandes sœurs spirituelles. «Mais tu es tellement une afro-fém!» lui lance alors son compagnon de l’époque.

L’écriture, un art de survie

2012 marque un premier tournant dans sa vie. Arrivée à l’Université de Genève, Pamela excelle dans la préparation de son Bachelor en relations internationales. Mais ces nouvelles échéances et un état émotionnel fragile la conduisent au burn-out. Elle a 21 ans. «Si je devais dire aujourd’hui quelle a été la conséquence directe du racisme et du sexisme, en réalité, c’était cela.» C’est l’art qui lui permettra de s’en sortir. «Ce qui m’a réellement sauvée, c’est la musique, mais aussi l’écriture, qui a été pour moi un art de survie.» La littérature l’épaulera aussi dans sa reconstruction. Elle se souvient ainsi de l’écrivaine camerounaise Léonora Miano ou de l’auteur nigérian Chinua Achebe, soutiens décisifs sur le chemin de la guérison.

Deux années plus tard, elle rejoint le Collectif Afro-Swiss et le groupe de recherche PostCit (Penser la différence raciale et postcoloniale) après son premier engagement citoyen antiraciste. «J’ai été introduite à toutes ces questions sur l’identité afro-européenne et j’ai pu nourrir toute une réflexion sur le féminisme noir», raconte Pamela. Elle fondera la plateforme littéraire Afrolitt en 2016.

Akosua Anowah

En mai dernier, l’Association panafricaine pour les arts & la culture, publie sa première histoire courte, en prose, qu’elle signe du nom d’Akosua Anowah, son prénom ghanéen. Voilà maintenant deux années que Pamela a fait sa demande de citoyenneté ghanéenne. Désormais binationale, elle se remémore l’un de ses voyages familiaux à Accra, qui lui laissera un amer souvenir. «C’était un cauchemar. Je suis tombée amoureuse d’un garçon, ce qui a créé tout un cinéma au sein de ma famille. J’ai eu droit à une réaction complètement disproportionnée par rapport à ma manière de m’habiller, de me comporter. Je me suis sentie humiliée. J’étais déjà en train de me rebeller contre le patriarcat», se souvient-elle. Mais pas question pour Pamela de «rester» sur cette expérience.

«Je suis retournée au Ghana, seule, pour y trouver des personnes qui pensaient et réfléchissaient comme moi. J’ai rencontré des artistes, des entrepreneurs très inspirants», illustre-t-elle. Pamela semble aujourd’hui en phase avec sa nouvelle appartenance. «Si j’ai cette nationalité, c’est que je promets un jour de contribuer dans ce pays-là mais c’est aussi un peu mon ticket de sortie.»


Profil

1991 Naissance à Genève.

2012 Burn-out et renouveau.

2014 Premier engagement citoyen antiraciste puis rejoint le collectif AfroSwiss.

2016 Création de la plateforme littéraire Afrolitt.

2020 Réaffirmation. Publication de sa première histoire courte dans la revue «Sankofa» de l’Association panafricaine pour les arts & la culture.