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Quand Pascal permet de repenser les dérives de Pegida en Allemagne

«Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes sans lui montrer sa grandeur», prévient le penseur. Angela Merkel a ouvert grand les portes aux migrants. Aujourd’hui, elles se referment. Le retour de bâton est rude

Pegida manifeste. Dresde, le 26 octobre 2015. — © AP Photo
Pegida manifeste. Dresde, le 26 octobre 2015. — © AP Photo

L’Allemagne, docteur Jekyll et Mister Hyde de la politique en Europe? La décision d’Angela Merkel d’ouvrir grand les portes aux migrants venus de Syrie et d’ailleurs aura pris tout le continent de court. Faisant fi des peurs et des réflexes de repli, la chancelière a donc fait prévaloir les valeurs humanitaires et la vocation d’accueil qui sont – ou devraient être – le propre des Etats de droit. Bien sûr, les intérêts bien compris de l’Allemagne y sont aussi pour quelque chose, mais quel autre pays a eu le courage d’affronter cette opportunité? Seulement voilà. Une fois passé l’élan d’enthousiasme initial, la générosité allemande apparaît désormais comme une source infinie de problèmes: afflux incontrôlés aux frontières, débordement des capacités d’accueil, zizanies et chaos européens, rumeurs de conflits interreligieux entre réfugiés, explosion des réactions xénophobes, etc. Bref, le retour de bâton est rude. C’est dire le désarroi d’un pays hier encore plein de confiance en son avenir.

Est-il donc vrai que qui veut faire l’ange fait la bête? L’expression est brandie par tous les contempteurs de l’angélisme supposé d’une politique fidèle aux droits fondamentaux. Elle est devenue tellement proverbiale qu’on en a presque oublié qu’il s’agit d’une citation de Pascal. Et qu’elle prend tout son sens une fois réintroduite dans le contexte des Pensées: «L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui fait l’ange fait la bête.» Loin d’être un juste milieu entre l’ange et la bête, l’homme oscille sans équilibre de l’un à l’autre de ces pôles. «Monstre incompréhensible» (comme Pascal le dit ailleurs), fait de grandeurs et de misères, il est pour lui-même une question sans réponse, à moins que la foi vienne le tirer d’embarras.

«Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre. Mais il est très avantageux de lui représenter l’un et l’autre. Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre. L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête», écrit Pascal dans les «Pensées»

Il n’y a donc pas de «réalisme» ou de bon sens pascalien. Etre homme, c’est prendre conscience de ses irrémédiables contradictions, et se tourner vers une autorité plus grande pour chercher son salut. Politiquement, Pascal est donc bien un conservateur, mais au deuxième degré. Car il n’ignore pas que les autorités de ce bas monde s’appuient trop souvent sur la violence et le mensonge. Mais la soumission à la loi, même injuste, est reconnaissance implicite de la précarité humaine et par là même promesse de justice. Tel est «le renversement continuel du pour au contre» à l’œuvre dans les opinions des hommes: en croyant améliorer leur sort, ils font parfois l’exact contraire.

Victime de Pegida

Mais cette réversibilité signifie-t-elle pour autant que qui fait la bête peut, au bout du compte, se faire ange? Les adversaires xénophobes de la politique migratoire d’Angela Merkel auraient-ils raison à leur manière? Il n’est pas sûr qu’on puisse prendre impunément le visage de la bête, même au nom d’une juste cause. Akif Pirinçci, écrivain allemand d’origine turque, vient d’en faire l’amère expérience. Engagé aux côtés de Pegida dans le rejet d’une immigration «islamisante», il veut défendre l’esprit de laïcité et de tolérance que ces nouveaux arrivants menaceraient. Son combat est allé si loin qu’à force de jouer avec le feu des paroles, il s’est retrouvé leur victime.

Taquiner la bête

Etait-ce judicieux de fustiger, comme il l’a fait, la «bien-pensance» des élites allemandes en leur prêtant le désir inavoué de rouvrir les camps de concentration pour se débarrasser des perturbateurs de son genre? Tout le monde a cru comprendre qu’il souhaitait y envoyer les migrants, et l’indignation fut générale. Faut-il s’en étonner? L’opinion s’est-elle vraiment trompée sur ce qui pointe à l’horizon de tels propos? A vouloir taquiner la bête immonde, on ne risque pas de voler très haut.