Le Temps: Le conseiller d'Etat Charles Beer vous désignait vendredi dans «Le Temps» comme un prince de la culture, les milieux culturels évoquent un superintendant. Il y a un problème, non?

Patrice Mugny: Je suis quand même élu pendant quatre ans pour prendre des décisions. Maintenant, c'est vrai que j'ai une personnalité, une gueule de boxeur et que ça peut faire peur. Mais concrètement, ces quatre dernières années, qu'est-ce que j'ai détruit? J'ai le sentiment que beaucoup de choses ont avancé, au contraire. J'ai par exemple dit que Jean Tua et son Musée de l'automobile devaient quitter le site du BAC dévolu à l'art contemporain. J'ai été jusqu'au procès et j'ai gagné. Charles Beer aurait peut-être attendu douze ans. Chacun sa méthode. Ce qui importe c'est qu'à l'arrivée, il y ait plus de moyens qu'avant pour la culture en Ville de Genève.

- Que répondez-vous aux craintes de voir la culture dans les mains d'un seul homme?

- Quelqu'un a-t-il perçu un changement dans le subventionnement de la culture depuis mon arrivée?

- C'est sans doute une question de perception de votre action et de vos méthodes?

- Les artistes que je côtoie apprécient le fait d'avoir un interlocuteur. Ceux qui ne m'apprécient pas ne viennent pas me le dire. Je suis le premier magistrat qui met toutes les décisions du département sur internet. C'est la transparence absolue.

- Cette décision de transférer les compétences culturelles de l'Etat à la Ville renforce encore votre image de magistrat courant après le pouvoir.

- C'est extraordinaire! C'est la Ville qui est attaquée alors que c'est l'Etat qui veut faire un report de charges! Charles Beer devrait plutôt s'en prendre à ses collègues du Conseil d'Etat qui réclament ce transfert. La Ville n'a jamais demandé de dépenser davantage de sous. Nous serions masochistes de le faire.

- Charles Beer déclare que dès votre entrée en fonctions vous avez œuvré pour que la culture revienne entièrement à la Ville.

- Non. J'ai proposé des simplifications dans la répartition des compétences entre la Ville et l'Etat. La situation actuelle est absurde et bien souvent paralysante. J'ai fait une liste des institutions où l'on pourrait procéder à des échanges. Par exemple, cela n'a pas de sens que la Bibliothèque universitaire soit à la charge de la Ville. J'ai proposé donc qu'elle revienne à l'Etat. En contrepartie, la Ville aurait pu assumer seule le financement de l'Orchestre de la Suisse romande. Une autre idée était que l'Etat prenne en charge tout le cinéma. Les cinéastes doivent aujourd'hui frapper à de trop nombreuses portes pour obtenir un financement. Autre exemple absurde. Aujourd'hui l'Etat met 200000 francs pour la danse contemporaine. La Ville verse 1,5 million pour la danse contemporaine et 2,5 à 3 millions pour le Ballet du Grand Théâtre. Chaque fois que la Ville veut négocier quelque chose dans ce domaine, l'Etat doit être consulté. Charles Beer n'est entré en matière sur aucune de ces propositions.

- C'est ce qui vous a conduit à proposer le transfert total de la culture à la Ville?

- Pas du tout. Cette proposition, qui n'est pas encore validée, a surgi à la demande de l'Etat qui veut pratiquer des transferts de charges sur la Ville et les communes. Nous avons demandé que cela se fasse dans des domaines qui relèvent de nos compétences. La culture s'est imposée comme cela.

- Pour les milieux culturels, n'avoir plus qu'une seule autorité subventionnante est une source de grande inquiétude...

- Cette inquiétude est légitime mais elle porte avant tout sur les aides ponctuelles que la Ville et l'Etat peuvent allouer à des projets artistiques. Cela représente à peine 5 millions sur les 210 millions que la Ville octroie à la culture. Et 3,2 millions sur les 22 millions de l'Etat. Cela pour rappeler que ce sont les parlements qui décident de la majeure partie des fonds culturels. Dans l'hypothèse où le transfert de compétence entre l'Etat et la Ville ait lieu, on pourrait tout à fait imaginer que l'Etat conserve les 3,2 millions de francs dévolus aux aides ponctuelles.

- Bruno de Preux et Robert Roth ont annoncé leur démission à la tête de la Fondation du Grand Théâtre (voir ci-dessous). Quelle est votre réaction?

- Je regrette ces départs mais comme les démissionnaires ne se sont pas exprimés, je ne peux pas dire grand-chose.

- Ils vous reprochent votre manque de soutien à leur égard.

- Je n'ai jamais rien dit qui témoignerait d'un manque de soutien de ma part. Mais si Bruno de Preux ne supporte pas la confrontation d'idées... Nos cultures politiques ne sont pas les mêmes. En tant que président de la Fondation, Bruno de Preux devait connaître les dysfonctionnements du Grand Théâtre, il aurait pu intervenir plus vite. Pendant toute cette crise, la Ville n'a pas cessé d'être sollicitée mais dès qu'elle émettait des avis, ils étaient perçus comme des intrusions intolérables dans la vie de l'institution.

- Votre confiance était-elle intacte envers Jean-Marie Blanchard?

- Absolument. J'ai un immense respect pour sa direction artistique. Pour le reste, il faut aussi attendre les résultats de l'audit. Je n'ai en l'état aucune raison de luiretirer ma confiance.