Voilà quinze jours que Patrice Mugny, ministre municipal de la Culture genevoise, est dans l'œil du cyclone. Calme alors que tout tangue alentour. «Je suis habitué à prendre des coups», explique-t-il. Cette fois-ci tout de même, l'accumulation de crises semble inédite: le Festival de la Bâtie est rappelé à l'ordre, le Grand Théâtre de Genève perd son président et vice-président, le projet de transfert des compétences culturelles de l'Etat à la Ville provoque une onde de choc qui n'en finit pas de s'étendre. Et, à chaque fois, les soupçons et les acrimonies convergent vers le magistrat. Lui sont reprochés sa méthode, son tempérament ou les deux. Autodidacte, fort en gueule, il s'invente une pratique de la politique d'exécutif qui déstabilise, effraye, fâche mais déclenche aussi enthousiasmes et admiration.
Patrice Mugny lève les bras au ciel à chaque fois que le mot méthode est appliqué à sa façon de fonctionner. Quelle méthode? Elle existe bel et bien pourtant. Et elle tranche radicalement avec celle de son prédécesseur, Alain Vaissade, partisan de la position de retrait. Il est piquant de rappeler combien tant les acteurs que les commentateurs de la vie culturelle ont imploré d'avoir un interlocuteur qui s'engage. Eh bien, le voilà.
L'action est le maître mot. Le débat, le principal outil. La foi que le monde peut être changé vient de loin. Du grand-père et du père, tous deux militants chrétiens de gauche et syndicalistes, en Valais puis à Genève. Boulanger puis facteur, le père ramène à la maison la fièvre de la lutte et les discussions sont vives à la table familiale où s'asseyent Patrice et ses trois frères cadets. Le père décède en 1968, lorsque Patrice Mugny a 15 ans. La mère élève seule les quatre garçons. L'aîné quitte l'école à 17 ans et se tourne vers le théâtre engagé de Charles Joris à La Chaux de Fonds. De retour à Genève, il sera à l'origine du mouvement Post Tenebras Rock qui milite pour l'ouverture d'une salle de concert.
Fin de la pratique culturelle. Débutent les années Courrier. A 39 ans, Patrice Mugny devient rédacteur en chef du journal catholique passé à la contestation sociale. Manuel Grandjean a été son bras droit à l'époque: «Il plaçait toujours ses convictions avant toute chose et était prêt à risquer beaucoup pour elles.»
Le Courrier, c'est aussi une atmosphère de survie permanente. «Nous n'étions pas obsédés par la disparition annoncée du titre. Il s'agissait de profiter au mieux du temps imparti. Selon moi, Mugny a transposé cet état d'esprit en politique. Il n'est pas du tout obsédé par sa réélection. Il veut agir jusqu'au bout.»
Dès ses débuts comme ministre de la culture à la Ville de Genève, ses camarades de parti lui reprochent de ne pas avoir fait le deuil de sa posture de parlementaire d'opposition. Sa première action d'éclat donne le ton. A l'été 2003, il lance l'idée d'une fusion entre le Théâtre de Carouge et la Comédie, dans la perspective de créer la grande scène culturelle que les milieux culturels appellent de leurs vœux. Il touche là à un tabou, la fermeture d'une salle. Face au tollé, il rétorque qu'il voulait simplement lancer un débat qui reste pour lui nécessaire. «Un débat? Une mise devant le fait accompli plutôt», rétorquent les gens de théâtre.
Est-ce à un ministre de lancer les débats? Il en est convaincu. D'ailleurs, invoque-t-il, cela a très bien fonctionné avec les milieux de la danse contemporaine autour du projet de Maison de la danse. Et avec le cinéma autour de protocoles de répartition des subsides. Ce que confirment l'Association pour la danse contemporaine et Fonction: cinéma. La danse et le cinéma ont vu leurs subventions fortement augmentées par le magistrat. Ce qui facilite les discussions.
Affronter les problèmes, dénoncer les dysfonctionnements et prendre les décisions qui s'imposent pour aller de l'avant. En tant que rédacteur en chef et conseiller national, il fustigeait les abuseurs de l'aide sociale. Ce qui lui vaut l'admiration d'adversaires politiques. Devenu magistrat, il attaque l'absentéisme des fonctionnaires. En charge de la Culture, il ose couper des subventions (à la compagnie Para-Surbeck) et se veut un interlocuteur exigeant: «Je revendique un rapport vigoureux avec les artistes. De par leur fonction, ils remettent en cause la société. Seraient-ils fragiles au point de ne pas supporter un questionnement de leur mode de fonctionnement? Je ne le pense pas.» Une posture perçue chez certains metteurs en scène comme une attitude de défiance envers les artistes.
Et puis, il y a le tempérament. Brut de décoffrage. Annonce volontiers à des chorégraphes ou des directeurs de théâtre, juste après un spectacle: «Je n'ai rien compris et je me suis ennuyé.» Mais d'ajouter, tout de suite après, très voltairien: «Mais il est essentiel que votre travail existe et j'irai jusqu'au bout pour le soutenir.» Cette franchise a ses adeptes. «On est dans la clarté avec lui. En culture, il faut des gens qui s'engagent corps et âme. Sinon, on est dans la routine et la gestion. On ne peut pas s'engager et être le gendre idéal de tout le monde», estime Metin Arditi, président de l'Orchestre de la Suisse romande.
Et puis il y a cette obsession de la vitesse. En bon journaliste, il déteste la lenteur du temps politique. Et donc ça fonce. Si l'intuition est juste, les dossiers se débloquent, parfois après des années d'atermoiement (comme pour Bac+3, voir ci-dessous) ou la Maison de toutes les musiques. Quand il y a précipitation, ça casse, ça coince et ça revient en arrière.
«Les coups ne m'empêchent pas de dormir. Si je suis réélu, on continue. Sinon, tant pis», conclut Patrice Mugny.