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Patrick Bouchain, architecte forain

L’architecte français vient de concevoir le Centre Pompidou mobile, bâtiment léger et démontable qui circule à travers la France. Depuis trente ans, cet anticonformiste construit des bâtiments beaux et peu chers

Voici venue l’heure de Patrick Bouchain, en vitrine des principales revues d’architecture françaises cet hiver, fréquemment interrogé sur toutes les ondes, régulièrement invité à La Grande Table de France Culture. «Coïncidence», affirme-t-il, un rien gêné. Toujours est-il que cet architecte de 66 ans, connu pour son œuvre originale et personnelle, insuffisamment reconnu cependant, semble soudain avoir gagné une forte visibilité.

«Au fond, je suis un jeune architecte, explique-t-il; j’ai ouvert mon agence en 1995. Avant, j’ai dû longtemps apprendre pour comprendre ce que veut dire construire». Qu’est-ce qui fait que cette voix soit devenue, de but en blanc, nettement plus audible? Le doit-il au lancement de son musée forain, leCentre Pompidou mobile (CPM)? L’ouvrage a été inauguré en grande pompe par Nicolas Sarkozy en octobre dernier et remporte, dès la première étape de son itinérance à travers l’Hexagone, un franc succès. Mais il est possible d’esquisser d’autres explications sans toutefois épuiser le sujet.

Celle-ci par exemple: estimant qu’il incombe à l’architecture d’aller au-devant des gens, Patrick Bouchain applique cette conviction depuis toujours, d’autant qu’elle correspond à son élan naturel. Militant de l’action culturelle, conseiller et proche de Jacques Lang, organisateur de fêtes à grande échelle, il a réfléchi aux manifestations sous chapiteau; l’itinérance, il connaît. Nulle surprise donc si, devant les vedettes du moment, il a remporté le concours lancé par le Centre Pompidou en 2009, pour un musée capable de se décentraliser de manière légère.

Deux ans plus tard, l’établissement mobile bivouaquait sous le ciel de Chaumont, petite cité champenoise de 24 000 habitants, toute première étape d’une vaste tournée. Trois modules en forme de losanges à pointe allongée – dont le nombre peut augmenter, qu’on dispose de multiples façons – ont été dressés non loin de la route de sortie de ville, sur un ancien site militaire où surgiront bientôt de nouvelles constructions. Ils occupent une surface totale de 650 m2 et s’articulent entre eux de manières variées, par des sas. Ils sont composés de matériaux légers, solides et s’adaptent à tous les sols. Leurs éléments sont facilement montables et démontables.

Les structures voulues soigneusement visibles signalent de manière subtile la parenté avec le Centre Pompidou. La tente d’entrée, spacieuse, est aménagée pour l’accueil, les casiers et vestiaires ainsi que les travaux didactiques. Le mobilier est posé sur roues, y compris les ingénieuses vitrines climatisées et habilement éclairées, discrètement conçues comme des coffres-forts. De même, les toiles armées d’une trame métallique, revêtues de couleurs franches et vives, rouge, rose, bleu, orange, mettent au défi toute intention d’effraction.

Le tout est solidement arrimé au sol par d’énormes sacs en bâche caoutchoutée remplis d’eau. L’apparente simplicité des solutions techniques trouvées cache une extrême inventivité et un savoir-faire poussé. Deux enjeux ont été scrupuleusement relevés: celui de la sobriété énergétique, celui de la sécurité maximale. En effet, il faut convaincre les assurances puisque le musée mobile montre des pièces majeures de la collection du Centre Pompidou.

Judicieusement, la première exposition a choisi le thème de la couleur: les disques mobiles d’Olafur Eliasson dansent devant les cercles concentriques de Sonia Delaunay, les grands plongeurs noirs de Fernand Léger gambadent devant un mobile de Calder qui se balance doucement. Matisse, Picasso, Kupka d’un côté, Braque, Agam, Albers de l’autre. Ainsi qu’un Klein jaune comme un soleil. Une sculpture de Niki de Saint Phalle, une autre de Dubuffet et une vidéo de Bruce Nauman, d’une tonalité inattendue, complètent cette présentation magnifique et suffisante d’œuvres fortes exposées dans des espaces confortables et généreux. L’accès est gratuit, les frais étant assumés par la municipalité qui s’est portée volontaire pour recevoir le musée.

Première halte, premier succès: plus de 35 000 visiteurs sont venus, souvent plus d’une fois, dont une foule d’écoliers, avec ruée finale le jour de la clôture. A Chaumont, Patrick Bouchain a insufflé des enthousiasmes et s’est créé des amis. «Nous avons découvert un monde que nous n’imaginions même pas», s’étonne le patron de l’Etoile d’or, l’hôtel-restaurant situé juste en face, aux premières loges. Son petit garçon exige maintenant de visiter le Centre Pompidou et, pour commencer, il ira voir celui de Metz; autant d’expériences nouvelles pour la famille et un regain de vitalité pour une région déprimée.

A la stupeur des techniciens, l’architecte se trouve sur place le jour du démontage. Les œuvres sont minutieusement scrutées avant d’être placées dans leurs caissons et chargées sur des camions banalisés qui rouleront en caravane jusqu’à Cambrai, 33 000 habitants, dans le Nord-Pas-de-Calais. Le Centre Pompidou mobile y prendra ses quartiers pour trois mois, à partir du 18 février, dressé juste en face de la cathédrale, dans une disposition nouvelle. Pour chacune des étapes de son premier périple programmé sur trois ans, Patrick Bouchain a voulu expérimenter une situation différente: terrain en voie de reconquête à Chaumont, zone portuaire à Boulogne, rurale à Libourne, commerciale à Aubagne…

«Qu’est ce que forain?» lui demande-t-on, tant ce mot revient fréquemment dans ses propos. Il répond: «Forain est celui qui construit et reconstruit sans cesse un édifice, toujours le même, destiné à abriter une manifestation. C’est aussi celui qui se déplace continuellement pour se rapprocher de son public. Et qui s’approprie pour un temps donné un territoire prêté.» Désormais, la définition vaut aussi pour un musée. Celui-ci a coûté 1,8 million d’euros, mais le Centre Pompidou n’a rien déboursé. Le financement est venu de partenaires privés; les Ministères de la culture et de l’éducation ont fait le reste. Quant aux villes d’accueil, elles versent un écot de 200 000 euros à chaque station. Le modèle n’est pas sans précédent; il rappelle, entre autres, l’expérience du Musée précaire Albinet menée par l’artiste suisse Thomas Hirschhorn à Aubervilliers en 2004. Surtout, il tranche avec l’architecture monumentale de prestige pour se concentrer sur la mission première du musée: l’exposition des œuvres.

Bio

Patrick Bouchain

1945Naissance à Paris

1972-74 Professeur de dessin et d’architecture à l’École Camondo, Paris

1974-81 Professeur à l’École des beaux-arts de Bourges

1981-83 Cofondateur et professeur à l’École nationale supérieure de création industrielle de Paris

1988-95 Conseiller auprès de Jack Lang, ministre de la culture

1989-1994 Directeur de l’Atelier public d’architecture et d’urbanisme de la ville de Blois.

1992-1994 Conseiller auprès du président de l’Établissement public du Grand Louvre

1995 Fonde l’agence Construire, avec l’architecte Loïc Julienne

Principaux ouvrages:

1985 Aménagement du Magasin, centre d’art contemporain, Grenoble

1988 Théâtre Zingaro, Aubervilliers

1991 La Volière Dromesko, Lausanne

1993 Grange au lac, Evian

1995 Centre administratif et technique de Valeo, La Verrière

1997 Siège social de Thomson Multimédia, Boulogne-Billancourt

1999 Transformation des usines LU, Nantes

2000 Musée international des arts modestes, Sète

2002 Académie Fratellini, Saint-Denis

2004 Condition Publique, Roubaix

2006 Pavillon français, Biennale d’architecture, Venise

2007 Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Paris

2007 Transformation des Abattoirs le Channel, Calais

2008 Restaurant de Michel Troisgros, La Colline du Colombier

2010 Centre chorégraphique national de Rillieux-la Pape

2011 Centre Pompidou mobile

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Thierry Paquot

«Urbanisme», novembre-décembre 2011