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Cet ambassadeur d’un Paléo vibrant et différent a imaginé et développé la Ruche, espace dédié aux arts du cirque et de la rue. Une belle réussite qui fête ses dix ans cet été

Au fil des journées ensoleillées de Paléo, nous rendons hommage à des travailleurs de l’ombre du festival.
Nos précédents portraits:
Première constatation: la Ruche porte bien son nom. A quatre jours de l’ouverture du Paléo, elle bourdonne déjà d’agitation. Pendant que les uns manient le marteau-piqueur, les autres fignolent la déco, façon colle de poisson et vieux journaux. Lorsqu’on demande où se trouve le directeur, on nous répond qu’il faut chercher «l’homme au chapeau». Et c’est vrai qu’il lui va bien, son canotier. Arborant un bermuda orange, des Birkenstock et un sourire flegmatique, Patrick Chambaz aurait presque l’air d’un plaisancier en goguette.
Mais le quinquagénaire est loin d’être en vacances. Il coordonne les efforts d’un essaim de bénévoles afin que tout soit prêt en temps et en heure. D’autant qu’il s’agit d’une édition spéciale: cet été, la Ruche fête ses 10 printemps.
Voilà déjà dix ans que Patrick Chambaz a rêvé cet espace, entièrement dédié aux arts du cirque et de la rue, qu’il a vu naître puis s’épanouir au bout de la plaine de l’Asse. Où, dites-vous? Facile: visez la Terrasse puis le quartier des Alpes, dépassez la raclette et les malakoffs et ça y est, vous êtes à la Ruche.
Un festival dans le festival
Passé l’étroite entrée, cette impression d’être ailleurs. Loin des turbulences de la grande scène, on découvre un autre festival, sorte d’oasis décalée, de bulle légèrement déjantée dans laquelle on se glisse avec délices. Une atmosphère particulière que la Ruche doit notamment à sa scénographie soignée, alliant tentes de chapiteau, mobilier rétro et drôles de bibelots.
On vient les chiner dans un charmant «Cabinet des curiosités», et il y a de quoi s’étonner. «La thématique de cette année, c’est l’utopie. Ça parle de ces inventions visionnaires qui ont fonctionné, comme celles qui n’ont rien donné», explique Patrick Chambaz, accroupi devant une maquette d’un bateau-manège, embarcation mue par des chevaux dont l’odeur s’est révélée insoutenable pour les passagers.
A la Ruche, ceux qui osent, ce sont les artistes. Le show y est vibrant et différent. Au total, une quinzaine de troupes se produisent tous les jours sur les différentes scènes (dites «alvéoles») de la Ruche, entre fanfares folles, contes poétiques et funambules. Autant de coups de cœur pour Patrick Chambaz qu’il a lui-même repérés l’an dernier au Festival international de théâtre et des arts de la rue d’Aurillac, en Auvergne. Un critère, l’émotion. «Il faut que dans les cinq premières minutes de la performance, quelque chose croche. Même si c’est du silence.»
Art mal aimé
Des artistes qui savent bouleverser mais aussi innover, à l’image du cirque Pardi!, troupe française qui présente cette année son spectacle Borderland, tout en jeux de lumière et subtilité. Un cirque moderne et loin des clichés populaires. «Quand ils pensent à l’art de rue, les gens imaginent tout de suite le cracheur de feu ou le jongleur à cinq balles», fait remarquer Patrick Chambaz.
On touche ici au cœur de sa mission: rendre ses lettres de noblesse à un art longtemps mal aimé, en lui offrant sa place dans la grille Paléo. Rien de moins simple. «J’ai longtemps dû composer avec le bruit de soundchecks improvisés, ou les tables à manger qu’on installait devant ma scène.»
Mais c’était sans compter la persévérance de ce créatif, qui, après trente ans de travail passionné, a fait du festival une référence dans le monde des performances de rue. Dans le jargon Paléo, on les qualifie même de «Chambazeries».
D'abord, un trio de pingouins
Il faut dire que Patrick Chambaz fait presque partie du décor. Avant d’habiller Paléo de fantaisie, il y a donné de la voix. En 1980, ce vendeur en appareils photo est un jeune chanteur prometteur que l’on invite à jouer au festival avec son groupe, Parenthèse. «Ça m’a surtout permis de ne plus avoir à payer l’entrée», rit le natif de Nyon, qui baladera ensuite sa guitare en solo sur plusieurs scènes du festival, encore planté sur son terrain de Colovray.
Sept ans plus tard, le musicien touche-à-tout est toujours là. On lui propose alors d’introduire une touche d’art alternatif au festival. La première compagnie professionnelle qu’il programme, un trio de pingouins déambulant parmi les festivaliers, fait sensation. C’est le déclic. «Daniel Rossellat est venu me voir et m’a dit: Voilà ce que nous devons offrir au public, se souvient Patrick Chambaz. Paléo m’a créé mon métier.»
Au complet
Depuis, ce passionné a arrêté la chanson pour se consacrer pleinement à ses projets nyonnais, qui l’ont suivi sur la plaine de l’Asse. La Crique, d’abord, sorte de plateau circulaire où les troupes ont défilé jusqu’en 2007, puis la Ruche dès l’année suivante. «Le concept a pris tout de suite, ce qui est rare», souligne le maître des lieux, fier de son petit nid sucré.
Qu’il ne quitte pas d’un battement d’ailes. Durant toute la semaine, Patrick Chambaz dort sur place dans un container aménagé et se promène rarement sur le terrain. Une affaire de famille puisque deux de ses filles y travaillent aussi comme bénévoles.
Reste qu’une bonne partie des festivaliers ne font jamais le chemin jusqu’à lui. Patrick Chambaz en est conscient, et cite même une étude estimant qu’un tiers d’entre eux ne connaissent pas la Ruche. Mais pas de quoi blesser l’ego du roi des abeilles. «Il ne m’en faut pas plus. A vrai dire, nous sommes presque toujours complets!»
Profil
1961 Naissance le 23 juin à Nyon
1980 Engagement de son groupe, Parenthèse, au Paléo
1988 Engage les Crazy Idiots, troupe qui marque l’entrée du théâtre de rue au Paléo
1991 Dernier concert au Chapiteau sous son propre nom
2008 Naissance de la Ruche