Sous les pavés lausannois, les idées vertes de Jardins 2000 finissent par séduire
URBANISME
Par-delà les ambitions de ses organisateurs, quel est le véritable impact de la manifestation lausannoise? Enquête après deux mois et demi d'ouverture et à un mois et demi de la fermeture
«Ce ne sont pas des floralies, ce sont des jardins inspirés par l'art contemporain», explique Pierrette Frochaux, l'une des guides de Lausanne Jardins 2000, en début de visite. «Ah, soupire cette dame venue de Genève, avec l'art contemporain il faut tellement y mettre du sien pour voir quelque chose…». Mais en fin de parcours, elle s'exclamera: «C'était intéressant! Il faut juste savoir qu'on ne vient pas voir des fleurs.»
Depuis la mi-juin, la manifestation tente de faire passer une conception novatrice du rôle du végétal dans la ville, tout en consolidant la réputation naissante de Lausanne comme «ville verte». Vastes ambitions, dont le succès ne pourra être évalué que sur le long terme. Comme les plantes, les idées mettent du temps à pousser! Néanmoins, à un mois et demi de la clôture, on peut déjà se demander: est-ce que «ça marche»? Apparemment, la réponse est oui, même si la manifestation n'a pour l'instant pas donné lieu à un débat public.
Côté fréquentation, Lausanne Tourisme enregistre plusieurs demandes d'information tous les jours et la documentation offerte sur les sites doit être fréquemment renouvelée, ce qui semble indiquer que les visites individuelles sont assez nombreuses. Les billets combinés des CFF se vendent bien, contrairement aux forfaits comprenant une nuit d'hôtel. Quant aux visites guidées, proposées tous les jours sauf le lundi, elles se déroulent le plus souvent en petit comité. Pierrette Frochaux note qu'elles attirent du monde de toute la Suisse et même de l'étranger, mais surtout des femmes et des personnes d'âge mûr.
Côté réception de la manifestation, il faut distinguer les retombées en termes d'image de la ville et l'impact effectif du projet. D'après la municipale Silvia Zamora comme d'après Daniel Oertli, du Service des parcs et promenades, Lausanne Jardins 2000 suscite l'admiration loin à la ronde. Voire un peu d'envie. Silvia Zamora: «Il n'arrive pas souvent que Genève nous prenne en exemple!» Daniel Oertli: «Nos collègues de Suisse alémanique sont même un peu jaloux…»
Tous les deux font également état d'échos très positifs dans la population. Même l'occupation du cimetière du Bois-de-Vaux n'a suscité que très peu de critiques. Pour Silvia Zamora, la vraie révolution s'est produite lors de l'édition pionnière de 1997, lorsque pour la première fois les jardins ont investi le centre urbain. Désormais, selon la municipale, la mutation de la relation des Lausannois à leurs espaces verts est irréversible. Mais faut-il vraiment croire que la majorité des gens acceptent avec enthousiasme des réalisations telles que, par exemple, les bambous emballés du Flon, au sujet desquels les passants lâchaient, au début de l'été, des remarques peu amènes?
Lors des visites guidées, en tout cas, «la réception est dans l'ensemble très bonne, alors même que, au départ, les gens s'attendent à autre chose.», affirme Pierrette Frochaux. Evidemment, les projets du Flon, pour la plupart très conceptuels, et dont plusieurs ont été victimes de problèmes techniques qui en diminuent la lisibilité, ont moins de succès que les deux véritables musts de la manifestation, la très ludique «Chenille» de la place de Milan et la passerelle «Rêve» de Montbenon.
L'une des questions centrales est de savoir si ces jardins de l'an 2000 arrivent véritablement à modifier le regard des citadins sur l'environnement urbain. D'après le plasticien Jean-Claude Deschamps, coresponsable, avec les architectes-paysagistes de Paysagestion, de la passerelle «Rêve», la manifestation de cette année, répartie sur des sites séparés, est de ce point de vue moins efficace que celle de 1997, qui offrait un parcours continu. Lui-même et Olivier Lasserre, de Paysagestion, sont néanmoins très contents de constater que leur propre réalisation, sur laquelle on trouve en permanence une trentaine de personnes, est très clairement perçue par les Lausannois comme une occasion de renouveler leur perception un peu usée du spectacle du lac.
Même satisfaction chez l'architecte et paysagiste Marie-Hélène Giraud, dont l'installation «Chambre avec vue» à Montriond (conçue avec Claudine Romer Charles) a pourtant été victime, au début, de sévères déprédations. Finalement, le projet a été très bien accueilli par les gens du quartier, qui n'hésitent pas à venir faire une pause méditative sur les chaises longues de cette «chambre» verte.
Mais l'effet le plus durable des deux manifestations «jardins», celle de 1997 et celle de 2000, qui pourrait bien être la dernière sous cette forme, il faut probablement le chercher, d'après Daniel Oertli, à l'intérieur du Service des parcs et promenades, avec le développement d'un nouveau savoir botanique et la recherche de solutions moins convenues que par le passé. Des solutions basées, par exemple, sur l'utilisation de plantes vivaces plutôt qu'annuelles: «Les jardiniers se sont remis en question et les félicitations qu'ils reçoivent les encouragent à continuer.»