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Comment peindre à Bagdad?

Artistes irakiens à Genève.

La librairie de L'Olivier, à Genève, l'un des piliers de l'identité arabe de la ville, accueille depuis mercredi une exposition de peintres irakiens qui offre une vision saisissante de la condition d'artiste dans l'Irak d'aujourd'hui. Les cinquante toiles sont le fait d'une dizaine de peintres du collectif irakien «Afkar» (les idées, en arabe), formé récemment dans le but de donner une nouvelle impulsion aux arts plastiques dans le pays.

«A l'époque de Saddam Hussein, les artistes avaient le choix entre se mettre au service du régime avec pour mission d'en exalter la grandeur, ou renoncer à leur art», raconte Farid Abdallah Jewad, fondateur du collectif, qui a fait le voyage de Bagdad. Diplômé de l'Institut des beaux-arts de la capitale irakienne en 1985, il a préféré travailler comme chauffeur de taxi. Aujourd'hui, un vent de liberté souffle sur les créateurs irakiens. Mais un vent vicié. «Le climat d'insécurité est tel que les acheteurs arabes ou étrangers qui se sont manifestés après la chute du régime ont disparu, poursuit son compatriote Nabil Hussein Kadhim, cofondateur d'Afkar. Et nos seuls clients ne sont plus que les militaires de la coalition, qui adorent se faire tirer le portrait.» Un commerce discret – et potentiellement mortel – s'est donc développé dans le chaos irakien, où le simple fait de peindre pour les occupants assimile l'artiste à un collabo aux yeux de la résistance. Nabil Hussein, qui tient une galerie à Bagdad, a ainsi reçu des menaces explicites parce qu'un reportage photo sur sa galerie s'est retrouvé un jour dans un magazine américain…

Ambition compromise

L'état d'abandon de la société a atteint un tel niveau après la chute de Saddam, expliquent-ils, que le rôle de l'artiste s'en est trouvé modifié: avec Afkar, leurs vœux étaient aussi de «stimuler le tissu social, d'atténuer les souffrances de la population» via la création. «Mais même cette ambition est compromise, tellement le climat de violence est exacerbé. Organiser une exposition dans une école ou faire peindre des orphelins est devenu quasiment impossible.»

La venue de l'exposition en Suisse n'a elle-même pas été simple. Dans un premier temps, Berne a refusé la demande de visa. Il a fallu l'insistance personnelle de l'ambassadeur de Suisse à Bagdad pour que le dossier se débloque. Un réseau de solidarité s'est ensuite mis en place, via le Centre d'études et de recherches du monde arabe et méditerranéen (Cermam), pour qu'elle voie le jour.

Afkar. Galerie de la librairie L'Olivier (rue de Fribourg 5, Genève, tél. 022/731 84 40). Jusqu'au 5 août.