Le beau cheval blanc de l’empereur Constantin, les délicieux éléphants d’Hannibal, ou encore ce petit chien qui participe à la liesse générale, sans doute au retour de Titus et Vespasien à Rome après la prise de Jérusalem en l’an 70. Ne serait-ce que pour ces détails animaliers, on a envie de recommander l’exposition Héros antiques au Musée Rath, à Genève. Des détails qui n’en sont pas vraiment. Ce n’est que parce qu’ils figurent au second plan de cette magnifique Conférence de Scipion et d’Hannibal que les pachydermes sont de taille, disons modeste. Le cheval de Constantin, plusieurs fois représenté, et le petit chien sont à peu près à l’échelle. Les immenses tapisseries déroulées sur les murs du musée sont impressionnantes par leurs dimensions, mais ces dimensions mêmes permettent de représenter les scènes avec une surprenante véracité.

Il faut aller au Musée Rath pour s’amuser de cette animalerie mais surtout parce qu’il est rare de pouvoir apprécier ici de si majestueuses tapisseries flamandes. On le doit à une collaboration entre le Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève et le canton de Vaud, qui réunissent ici des joyaux de leurs collections.

Le MAH s’enorgueillit de posséder le cycle de tapisseries le plus complet qui soit concernant l’histoire de Constantin. Un atelier bruxellois a réalisé ces sept scènes vers 1650, les cartons étant dus au peintre Lancelot Lefebure et aux tisseurs Matthijs Roelandts et Joris Leemans. Ces trésors font partie de l’ensemble de 30 000 objets offerts par l’un des principaux mécènes du musée, Gustave Revilliod (1817-1890), qui avait fait construire l’Ariana pour exposer ses collections privées avant de tout léguer à la Cité, propriété et collection.

Les tapisseries n’avaient plus été montrées depuis 1949. Elles ont bénéficié des soins attentifs de la Manufacture De Wit, en Belgique, qui vient aussi de donner un coup de jeune à la fameuse Dame à la licorne du Musée de Cluny. Un documentaire présenté dans l’exposition permet de découvrir ce travail de blanchisserie hors norme. Oublié l’empoussiérage, voire les traces de suie déposées par les chauffages et les éclairages des époques anciennes. La laine et la soie ont l’air fraîches comme au premier jour. Bien loin des ambiances fantomatiques de vieux châteaux, on prend le temps d’apprécier ses récits antiques que la Renaissance avait remis au goût du jour.

Sur ces grandes tentures, les scènes se déploient à l’envi, si bien que les simples soldats prennent vie au lieu d’être de petites taches de peinture au fond des tableaux. Ces tapisseries sont en quelque sorte les péplums de l’époque, avec tous leurs figurants, et l’on se dit qu’un bon programme cinématographique en parallèle à l’exposition aurait été le bienvenu.

Hormis l’histoire de Constantin, premier empereur chrétien, d’autres épisodes antiques sont présentés, le plus impressionnant étant l’histoire de Scipion l’Africain. Ces quatre tapisseries, comme d’autres belles pièces exposées ici, ont été léguées en 1994 à l’Etat de Vaud. Elles appartenaient à la collection Toms. Aujourd’hui, la Fondation Toms Pauli gère l’ensemble de tapisseries et de broderies européennes du XVIe au XIXe siècle légué par Mary Toms, ainsi que les œuvres d’art textile contemporain provenant de l’Association Pierre Pauli et de divers donateurs. Elle fait partie des hôtes du futur Pôle muséal lausannois.

Les tentures dites des Actes de Scipion conjuguent la taille monumentale (jusqu’à 40 m2) et la finesse du tissage, des fils d’argent et d’or se glissant parmi la laine et la soie. Elles ont été commandées en 1660 par le marquis de Caracena, gouverneur général des Pays-Bas espagnols, aux meilleurs ateliers de Bruxelles. L’une d’elles a été montrée en 2004 à Lausanne, les autres sont pour la première fois présentées au public.

Pièces d’apparat, les tapisseries réchauffaient les murs des vastes demeures en racontant les récits en vogue. Leurs bordures ornementales évoquent leur propre histoire, celle de leurs commanditaires et des artistes et artisans qui leur ont donné vie. Les cartons qui servaient de support au tissage étaient conservés pour de nouvelles réalisations, parfois pendant un siècle. Il faut donc aussi voir les magnifiques pièces exposées au Rath comme les témoignages éloquents d’un art de la reproduction.

Mais c’est surtout vers l’Antiquité, source d’inspiration de ces scènes, que l’exposition se retourne, afin de montrer comment le regard de l’archéologie contemporaine diffère du point de vue de la Renaissance. Ce qui permet aussi de montrer quelques jolies pièces de la collection Gandur. On ne soigne jamais trop ses mécènes.

Héros antiques, la tapisserie flamande face à l’archéologie, Musée Rath, place de Neuve, Genève. Ma-di 11h-18h, jusqu’au 2 mars. www.ville-geneve.ch/mah

Sur ces grandes tentures, les scènes se déploient à l’envi, si bien que les simples soldats prennent vie