Tout cela est pour Barilier la marque d'une défaite de la pensée, le signe sûr que l'Europe n'arrive plus à s'affirmer dans son identité, comme l'indique sa «propension à voir le Mal en nous et le Bien chez l'Autre». C'est ce qu'il appelle la stratégie du blanc bonnet, bonnet blanc: celle qui consiste à dire que les chrétiens de naguère n'ont rien à envier aux islamistes purs et durs d'aujourd'hui. Molle stratégie, qui vise, en dernière analyse, à justifier la guerre que les autres nous font. Suivent là quelques belles pages sur ce que Barilier appelle le «phénomène de la fausse mémoire», qui consiste à oublier que notre passé est passé, précisément, et qu'il n'est pas à mettre sur un pied d'équivalence avec le présent des autres. C'est pourquoi «nous sommes en droit de considérer notre société actuelle comme meilleure et plus juste que la société pakistanaise actuelle».
Barilier ne le dit pas, mais son portrait ressemble étrangement à celui que Nietzsche brossait du «dernier homme», pâle figure nihiliste du démocratisme ambiant, auquel devait succéder le «surhomme», artiste créateur avant tout de lui-même. Mais Barilier reste trop déférent envers la démocratie pour basculer dans le pathos de l'Uebermensch; d'ailleurs, de manière assez comique eu égard à ses propres thèses, il prend soin, à chaque fois que sa pensée flirte avec le politiquement incorrect, de rassurer son lecteur sur le mode du «n'allez pas croire que» (que je n'aime pas les jeunes des banlieues, que je méprise le Téléthon, que je suis islamophobe...). Sa solution consiste à nous désencrasser de l'omniprésence du Bien, pour que l'art redevienne art, la vérité vérité, et la beauté beauté. C'est ainsi, entre autres, que renaîtra l'intelligence en Europe: «D'abord la communauté de l'esprit. Le charbon et l'acier viennent ensuite.»
Etienne Barilier, «La Chute dans le Bien», Editions Zoé, 179 p.