Aujourd'hui, on va rigoler. Nous partons en pique-nique avec M. et Mme Blédurt. M. Blédurt, c'est notre voisin: il aime bien taquiner papa et souvent ils se battent pour rire, papa et lui. Mme Blédurt, c'est la femme de M. Blédurt; elle est très gentille et elle aide maman à séparer papa et M. Blédurt.
C'est hier que M. Blédurt est venu nous voir dans le jardin où j'arrosais le gazon et papa me disait comment il fallait faire. Quand M. Blédurt est arrivé, papa ne s'est pas levé de son transat ; il a demandé: «Qu'est-ce que tu veux encore?», et M. Blédurt lui a répondu: «Si nous partions en pique-nique demain?» Moi, j'ai trouvé que c'était une très bonne idée et j'ai battu des mains en criant: «Oh oui! ; oh oui!» Comme je n'avais pas lâché le tuyau d'arrosage, j'ai mouillé papa et M. Blédurt.
- Ça commence bien, a dit papa ; avec toi, Blédurt, je n'irais pas jusqu'au coin de la rue ; à quoi bon gâcher une journée?
- Tu n'as qu'à pas venir, a dit M. Blédurt; j'emmènerai ta pauvre femme et ton malheureux enfant qui est si pâlot.
Papa a dit «Ah! oui?» et M. Blédurt a répondu: «Oui». Alors, ils se sont poussés l'un l'autre, comme ils font d'habitude, et maman et Mme Blédurt sont venues. Comme tout le monde était là, on a décidé que c'était une vraiment bonne idée de partir en pique-nique. Papa, il boudait bien un peu, mais ça n'a pas duré longtemps, parce que je sais que papa aime bien les pique-niques. Finalement, il a dit : «Bon, d'accord» et moi, j'ai encore battu des mains et maman m'a dit de lâcher le tuyau d'arrosage et elle s'est plainte que sa mise en plis était fichue.
Après, papa et M. Blédurt se sont mis à discuter au sujet des autos. M. Blédurt voulait qu'on aille tous dans sa voiture qui était plus confortable que celle de papa. Papa a répondu que l'auto de M. Blédurt était un tas de ferraille rouillée et qu'à 20 à l'heure, elle ne tenait plus la route, et qu'elle n'arriverait pas à 20 à l'heure parce qu'elle tomberait en panne avant. M. Blédurt a répondu à papa que papa conduisait comme un pied, et papa lui a dit que le pied il allait le voir de près, et maman et Mme Blédurt ont dit qu'on prendrait les deux autos et tout le monde était très content.
Maman et Mme Blédurt se sont mises d'accord sur les choses qu'elles feraient pour manger, et papa et M. Blédurt ont décidé qu'on se lèverait à 5 heures du matin et qu'on partirait à 6 heures. Moi, je leur ai dit que je trouvais que c'était quand même un peu tôt, mais papa m'a fait les gros yeux et il m'a dit de ne pas me mêler des conversations des grandes personnes. Et puis les Blédurt sont retournés chez eux pour se préparer pour demain matin.
Pendant que maman était dans la cuisine en train de faire des tas et des tas d'œufs durs et de sandwiches, moi, je suis allé chercher dans ma chambre et dans le grenier les choses dont j'aurai besoin. J'ai commencé par prendre les deux ballons de football, le bon et le crevé qui me sert pour m'entraîner. J'ai pris aussi les trois vieilles balles de tennis, on ne sait jamais. Dans l'armoire, j'ai trouvé mon bateau à voiles dont je ne me sers pas depuis longtemps, parce qu'il n'a plus de voiles, mais je m'arrangerai toujours. Sous le lit, j'ai trouvé ma pelle et mon seau pour faire des pâtés de boue; il n'y a pas de sable au bord de la rivière où on va, mais la boue c'est plus amusant parce qu'il y a des vers dedans. Avec la pelle, j'ai fait tomber ce qui était au-dessus de l'armoire pour voir si je trouvais des choses intéressantes. Il y avait trois petites voitures et un camion avec l'arrière qui bascule: ce sera bien pour transporter les vers. J'ai encore pris le jeu de dames; comme ça, s'il pleut, on pourra s'amuser dans la voiture.
Comme maman n'aime pas que je laisse ma chambre en désordre, j'ai poussé avec la pelle tout ce dont je n'avais pas besoin sous l'armoire et sous le lit. C'était impeccable; maman sera contente.
J'ai dû faire plusieurs voyages pour descendre tout ça dans le salon, et après, il a fallu que je monte jusqu'au grenier pour chercher mon vélo qui a une roue faussée, mais papa l'arrangera très bien. Il me l'a promis quand il a faussé la roue en faisant le guignol sur mon vélo pour faire rire M. Blédurt, la semaine dernière, et M. Blédurt ne riait pas, sauf quand papa est tombé, mais c'est la roue qui a tout pris.
J'arrivais dans le salon avec mon vélo, quand maman est entrée en venant de la cuisine. Elle a regardé mes affaires, elle a ouvert des yeux tout ronds et elle s'est mise à crier en me demandant qu'est-ce que c'était que ce fouillis et que je remonte bien vite remettre tout ça à sa place, sinon elle jetterait le tout dans la poubelle. J'ai expliqué que j'avais besoin de ces affaires pour le pique-nique, alors maman a dit: «Voilà ton père qui arrive, on va voir ce qu'il en pense!» Mais quand papa est entré, maman s'est arrêtée de parler et pourtant elle avait la bouche grande ouverte. Il faut bien dire que papa, on ne le voyait presque pas, sous le filet à crevettes, les trois cannes à pêche, les bottes en caoutchouc, la raquette de tennis, le gros panier pour mettre les petits poissons, l'appareil de photo et les deux transats.
Maman est repartie vers la cuisine en levant les bras au plafond. Papa l'a regardée partir et il m'a demandé: «Qu'est-ce qu'elle a, ta mère?» Et il a déposé ses choses à côté des miennes sur le tapis du salon; il faut dire que ça faisait un drôle de tas.
On s'est couchés de bonne heure, parce que papa nous a prévenus que le réveil à 5 heures, c'était sérieux et que ceux qui ne seraient pas prêts, c'était tant pis pour eux, ils n'iraient pas au pique-nique.
Moi, j'ai très peu dormi, parce que j'étais impatient de partir pour le pique-nique, et puis aussi, après ce que m'avait dit papa, j'avais peur de rater le départ. Quand j'ai entendu sonner 5 heures à l'horloge qui est dans la salle à manger, je me suis levé en vitesse et j'ai couru dans la chambre de papa et maman. «Je suis prêt!», j'ai crié.
Papa, il a fait un saut formidable dans son lit. Il s'est redressé et il a fait avec une drôle de voix: «Qui? Où? Pourquoi? Le feu?» Et puis il a ouvert les yeux et il m'a regardé entre ses cheveux qui lui tombaient sur la figure et je lui ai expliqué qu'il était 5 heures et qu'on pouvait partir. Papa, il a laissé tomber sa tête sur l'oreiller, il a refermé les yeux et il a dit: «Plus tard, encore cinq minutes, on a le temps, c'est pas pressé», et il a recommencé à dormir. Mais moi, je l'ai secoué, je ne voulais pas qu'il rate le départ! Ce serait embêtant, c'est lui qui conduit. J'ai allumé la lumière, et maman s'est levée, et elle m'a dit que j'aille faire ma toilette, que je ne m'inquiète pas, qu'elle s'occuperait de papa.
Quand papa a sorti la voiture du garage, M. Blédurt venait de sortir la sienne. Ils n'avaient pas l'air en bonne santé tous les deux. Ils ne riaient pas et ils avaient les yeux tout bouffis. Maman et Mme Blédurt, quand elles ont vu ça, elles ont commencé à charger elles-mêmes les autos. Ça, ça a réveillé papa et M. Blédurt. «Attention, criait papa, mes cannes à pêche! Tu vas tout casser! Pas comme ça! Ça va tomber!» De son côté, M. Blédurt disait à Mme Blédurt qu'elle allait rayer son auto avec le fusil et qu'elle allait fausser le coffre. « Laissez faire les hommes, a dit papa, les femmes, ça casse tout dès que ça s'approche d'une voiture!» «Ouais!», a dit M. Blédurt, qui pour une fois était d'accord avec papa.
Finalement, on s'est installés dans les autos.
- Je passe le premier, a crié M. Blédurt de sa voiture, je connais la route, moi!
- Pas question, a dit papa, je n'ai pas envie de me traîner derrière ton engin, à respirer l'huile bon marché que tu mets dedans!
- Ah ! Oui ? a crié M. Blédurt.
- Oui ! a répondu papa.
C'est dommage qu'on n'ait pas pu y aller, à ce fameux pique-nique, parce qu'en démarrant tous les deux en même temps, papa et M. Blédurt se sont rentrés dedans et la réparation des autos, ça va bien prendre une semaine.