A tous, Grand Corps Malade a demandé un fichier audio, afin de pouvoir «entendre leur voix, leur rythme et leur débit». C’est ainsi que les arrangements collent aux textes et à leur ambiance. Forcément le résultat est inégal. Il y a de très beaux moments, comme lorsqu’un Thiéfaine plus crépusculaire et mystérieux que jamais dit que «les auto-mitrailleuses encerclent les manèges», ou quand sur fond d’électro-pop Ben Mazué parle de «cette obsession amère, cette souffrance continue». Mais il y aussi des instants plus cruels, comme ce titre de Renaud, «Ta batterie», qui a quelque chose de pathétique dans la façon qu’a le chanteur écorché de tenter tant bien que mal de faire exister son texte. De même, Bohringer ne convainc guère, tandis que Cherhal séduit et qu’Aznavour enchante.La réussite de l’entreprise, puisque l’album est malgré ces bémols enthousiasmant, s’explique par le manifeste qui pourrait la résumer: «le slam est ouvert à tous», pour reprendre les mots de Grand Corps Malade. Les mots, parlons-en. Le Français les aime lorsqu’ils véhiculent une émotion, lorsqu’ils font pleurer, rire ou réfléchir. Si le rap est né d’une revendication sociale et politique, d’une envie de chroniquer le quotidien, le slam est dit-il moins cloisonné. «Si certains slameurs ont bien quelque chose à extérioriser, d’autres ne pratiquent cet art que par amour de la langue. Le slam peut être complètement déconnecté d’une réalité sociale.»
$Même s’il n’aime pas ce mot, Grand Corps Malade parle aussi de la dimension thérapeutique que peut revêtir l’acte d’écrire et de lire un texte. Etait-ce son cas? «Non, mais je ne peux pas nier que mes premiers textes étaient assez graves. J’ai parfois lu dans la presse que le slam m’avait aidé à me relever, mais ce sont des clichés de journaliste. J’ai eu mon accident en 1997 et je me suis relevé de mon fauteuil roulant l’année suivante. J’ai alors repris goût à la vie, j’avais un métier et des potes, j’allais très bien. Je n’ai découvert le slam qu’en 2003, donc dire que cela m’a aidé à retrouver le sourire est un raccourci.»
Grand Corps Malade, «Il nous restera ça», Believe Recordings, distr. Irascible.A lire: Camille Vorger (éd.), «Slam – Des origines aux horizons», Ed. d’en bas/La passe du vent, 288 p.