Voir Maurice Steger sur scène, c’est comme vivre un marathon. On respire avec lui, on transpire avec lui. Il se met à danser, sa flûte à bec virevolte, il mouille sa chemise au point de devoir se changer à l’entracte. Il n’hésite pas à prendre des poses théâtrales pour faire passer l’expressivité derrière la musique baroque. Il y a un côté sportif dans sa virtuosité, avec des prises de risque pour libérer la flûte à bec de ses conventions.

A 44 ans, le flûtiste zurichois est l’un des interprètes recherchés de la scène baroque. Né à Winterthour de parents grisons, il a fait sa scolarité dans deux villages à proximité de Coire. En toute logique, il serait devenu champion de ski alpin. Mais le destin en a voulu autrement. Il est devenu le petit prince de la flûte à bec, slalomant dans des concertos de Corelli, battant des records de vitesse dans des concertos pour flûte sopranino de Vivaldi. Impossible de l’arrêter, au point qu’on peut sortir gonflé à bloc (ou lessivé) d’un concert de Maurice Steger.

«J’utilise mon corps un peu comme un corps de résonance, dit le musicien rencontré cet été au Gstaad Menuhin Festival. Une flûte à bec ne produit pas naturellement un grand son. Je travaille donc beaucoup sur la quantité d’air et la pression de l’air. Le secret, c’est de faire circuler l’air dans son corps pour qu’il s’échauffe au lieu d’entrer directement dans la flûte.» Mais surtout, Maurice Steger voudrait éviter un son anorexique. «La flûte à bec, c’est joli, ça fait «pip-pip», mais je n’aime pas ça. Je veux un son qui puisse concourir avec les autres instruments.» Habillé en jeans délavé avec une ceinture de doux rockeur, le voici qui pose les mains sur ses hanches: «Je veux de la viande sur les os!»

Le prix de la patience

Ni enfant prodige, ni surdoué, Maurice Steger a grandi dans la montagne loin des centres culturels urbains. «Mes parents n’étaient absolument pas musiciens. Ils étaient très sportifs, ils faisaient beaucoup d’activités dans la nature. Mon père vient de Disentis, un village très haut, à plus de 1100 mètres d’altitude.» C’est à l’école, quand il a sept ans, que le petit Maurice souffle pour la première fois dans une flûte à bec. Il éprouve des difficultés, il a des problèmes moteurs. «J’étais beaucoup trop crispé, pas suffisamment libre. D’ailleurs, je tenais mon stylo avec beaucoup trop de pression dans les mains.» Il se sent si peu à l’aise qu’il laisse tomber la flûte quelque temps. Et pourtant, une voix intérieure l’appelle, il prend ses premières classes en privé à 13 ou 14 ans. Peu à peu, les réflexes viennent, il se décontracte, et commence à récolter le fruit de ses efforts. «Après trois années, j’ai eu une sorte de déclic, «le franc est tombé», comme on dit en allemand.»
Ses parents l’auraient bien vu se lancer dans une maturité commerciale. Mais l’adolescent est têtu, il passe le concours d’entrée à la Haute Ecole de musique de Zurich. Et il se met à faire la navette entre les Grisons – où il termine sa scolarité – et Zurich. Deux mentors le prennent sous son aile: Pedro Memelsdorff (qui l’initie notamment à la musique médiévale) et Kees Boeke (l’un des plus brillants élèves de Frans Brüggen). Pour parfaire sa formation, il prend des cours de continuo et de musique de chambre et s’initie même à la direction. L’autre figure tutélaire, c’est Reinhard Goebel. Le violoniste et chef a été l’un des fers de lance de la musique baroque allemande dans les années 1980 et 1990. «J’ai étudié un peu auprès de lui et j’ai joué dans son ensemble Musica Antiqua Köln pendant les deux dernières années du groupe.»

Le temps d’avaler une gorgée de jus d’orange pressé, Maurice Steger dépeint la personnalité si forte de Reinhard Goebel. «Pour moi, c’est l’un des plus éminents experts de la musique de Bach et Telemann. Quand il parle sa langue, c’est comme une structure. Il parle avec les accents et la syntaxe de l’allemand, mais quand il parle une autre langue, il prend les mêmes règles et ça ne marche pas!» Et de singer l’accent germanique en italien: «Un piattto di spaghhettti!» Bien sûr, le flûtiste ne vise pas personnellement son ami violoniste, mais il constate à quel point chaque berceau culturel appelle une autre manière d’interpréter la musique. Certains langages sont très codifiés. «La musique baroque française recèle beaucoup de règles, tout un catalogue d’ornements qui sont répertoriés avec des termes techniques – flattements, mordants, trilles, etc.» C’est à l’interprète de sentir les différences. «Pour le style italien, il faut laisser aller un peu plus les choses. C’est difficile, parce qu’il faut connaître les règles, mais ne pas montrer les règles!»

Tempi étourdissants

En concert, Maurice Steger a toute une batterie de flûtes (soprano, ténor, alto…) autour de lui. C’est spectaculaire de le voir jongler de l’une à l’autre, de faire jaillir des sons suraigus d’un flautino (ou flûte sopranino). Parfois, les tempi sont redoutablement rapides, comme s’il cherchait à étourdir le mélomane. Ces effets font partie du langage baroque, riche d’artifices. «Voyez un sofa dans un salon du XVIIe ou du XVIIIe siècle. Il y a plein de fleurs, de dorures et de fioritures.» Même s’il aime attirer l’attention à lui sur scène, Maurice Steger a conscience que son instrument a des limites. «Un jour, Reinhard Goebel m’a dit: Maurice, la flûte à bec n’a jamais été le centre de l’univers. Il avait raison: la vision d’un interprète de la flûte à bec peut être terriblement réduite!» Cette autodérision fait le charme du musicien zurichois. Petit prince, il l’est (il vient de remporter un Prix Echo Klassik en Allemagne), mais sans prendre la grosse tête. 


www.bonmontconcerts.ch, 
www.kulturticket.ch, 058 568 29 00.

Bonmont Noël Quatre concerts 
à l’Abbaye de Bonmont (VD).
Maurice Steger
«Concertos pour flûte» de Corelli, Vivaldi et les «Concertos brandebourgeois Nos 3, 4 et 5» de Bach avec l’ensemble Cappella Gabetta, di 13 déc. à 11h.
Naturally 7
Le groupe vocal new-yorkais a cappella chante du gospel, de la soul et du jazz 
je 10 et ve 11 déc. à 20h.
King’s Singers
Le sextuor anglais présente «Christmas a cappella», 
lu 14 déc. à 20h.