Philippe Beau: «Je sculpte la lumière avec mes mains»
Spectacle musical
L’ombromane français vient créer au BFM un spectacle sur le «Tombeau de Couperin» de Ravel en compagnie du Geneva Camerata. Rencontre

Il a le regard clair, le geste tranquille et la parole douce des êtres de l’obscurité. L’ombre, justement, est son monde. Et son art consiste à la mettre en lumière. Pas d’accessoires, marionnettes ou objets liés à la réalité: Philippe Beau, au nom si parfait, œuvre à visage découvert devant ou derrière un écran, des bougies ou des projecteurs. Son travail? Distribuer du rêve et créer des images en noir et blanc d’une intense poésie. Sa nouvelle création est genevoise. Le GeCa a invité l’ombromane pour une performance sur le Tombeau de Couperin de Ravel.
Le Temps: On associe le théâtre d’ombres à l’enfance…
Philippe Beau: C’est peut-être ce qui lui fait traverser les époques avec une fraîcheur intacte. J’ai moi-même été touché vers l’âge de 5 ans. Chez ma grand-mère, j’étais fasciné par les images que provoquaient les phares des voitures sur le plafond de ma chambre, à travers les persiennes. Les mouvements, l’agrandissement ou le rapetissement de formes étranges me faisaient l’effet d’une lanterne magique. C’est une pratique archaïque qui vient de très loin. On imagine sans peine les hommes des cavernes jouant avec les projections des formes de leurs corps sur les parois des grottes, devant le feu.
Comment en avez-vous fait votre vie?
Très progressivement, en testant, cherchant, me renseignant et expérimentant de nouvelles idées. Il n’y a pas d’école pour apprendre ce métier, et très peu de spécialistes. Nous devons être une vingtaine dans le monde. Enfant, j’avais un professeur de magie qui m’a enseigné des rudiments de l’art de l’ombre. Plus tard, j’ai lu les rares manuels anciens sur le sujet, avec des gravures du XIXe siècle. Après, je me suis débrouillé. Mon premier spectacle, j’ai mis quatre ans à le concevoir avant de le réaliser. Et il durait dix minutes!
Quelles grandes rencontres ont-elles été fertiles?
Denis Lavant [formé au mime, ndlr], Philippe Decouflé (la danse et l’extravagance visuelle), la magie nouvelle, avec la Compagnie 14:20, notamment. Mais surtout Robert Lepage, avec lequel j’ai travaillé sur des spectacles comme Kà avec le Cirque du Soleil à Las Vegas (une production pharaonique de 280 millions de dollars qui s’y joue cinq jours sur sept depuis 2005), le Rossignol et autres fables (miraculeux spectacle lacustre donné à Aix-en-Provence en 2010), Cartes (une tétralogie où il était responsable du pique) ou 887 (un passage sur le souvenir). J’adore sa façon d’inclure et de relier toutes les disciplines dans des spectacles où rien n’est impossible. Il opère en véritable prestidigitateur.
Comment travaillez-vous avec la musique?
J’écoute beaucoup. Je me documente aussi. Plus ou moins selon les cas, pour ne pas bloquer ou trop orienter mon imagination. Puis je laisse surgir les images, sensations, impressions ou réflexions pour construire une histoire. Le théâtre d’ombres doit se dérouler à la manière d’un conte, d’une fable. S’il est illustratif, il devient plat. Il faut que l’émotion naisse de propositions, de sujets et d’enchaînements visuels sensibles et porteurs d’imaginaire, sans que l’œil distraie ou domine l’oreille. C’est un équilibre très délicat à trouver pour que la musique reste la source inspirante.
Que vous a suggéré le «Tombeau de Couperin», et l’univers de la musique de Ravel?
J’ai été saisi par certains passages, notamment un qui me faisait penser à des oiseaux. Comme cette pièce a été composée sur le souvenir de personnes ayant existé, je me suis aussi tourné vers une forme de nostalgie, d’intimité. La musique classique rejoint particulièrement bien le théâtre d’ombres, car elle se nourrit sur le même terreau: le recueillement. Une forme d’intimité, de concentration et de «néant» lui est nécessaire. L’inventivité trouve là une liberté d’expression idéale, sur beaucoup de finesse et d’exigence technique. Les compositeurs soulèvent l’émotion en réalisant des associations sonores traduites par des instrumentistes. Moi, j’essaie d’y parvenir en sculptant la lumière avec mes mains.
BFM, mardi 13 novembre à 20h. Rens: 022 310 05 45, www.genevecamerata.com