La photographie, reflet d’un monde hybride

Les Journées photographiques de Bienne proposent une vingtaine d’expositions sur le thème du métissage

Une promenade entre deux mondes, à la lisière. C’est ce que propose l’édition 2014 des Journées photographiques de Bienne. «Nous avons choisi le thème de l’hybride parce que la photographie l’est depuis ses débuts – c’est un processus chimique – et que ses potentialités immenses se sont multipliées encore avec le numérique. On filme et on photographie désormais avec un même appareil, note Hélène Joye-Cagnard, directrice unique de la manifestation depuis quelques mois. A partir de là, nous nous sommes demandé comment les photographes rendent compte d’un monde hybride avec un médium lui-même hybride.» Les réponses – vingt artistes répartis en neuf lieux – sont évidemment variées et, bien que l’on puisse voir de l’hybridation partout, s’inscrivent plus ou moins pertinemment dans le sujet. Extraits.

Depuis 2012, le Fribourgeois Gregory Collavini travaille sur les nombreux murs antibruit qui parsèment le petit territoire suisse. Barre grise au milieu des fourrés, frontière épaisse entre un lotissement endormi et le flot incessant des voitures, langue de plastique ou de béton, taguée ou dissimulée. Juste derrière, un terrain de foot, des adolescents en palabre, un jardinet et son occupant sur fauteuil en plastique, un chemin de randonnée. Gregory Collavini joue des échelles, des couleurs et des détails pour des grands formats à la composition très étudiée.

A l’inverse, c’est parfois la campagne qui s’invite en ville. Saskia Groneberg, graphiste d’origine, a joliment photographié la manière dont les plantes s’enracinent dans nos bureaux. En noir et blanc, présentées au cordeau sur les murs du PhotoforumPasquArt, une branche de cactus épouse les angles du meuble qui la porte, des feuilles émergent d’un dessous de table, des branches tortueuses se confondent avec les câbles des ordinateurs. Plus loin, une coulée verte sur des feuilles laiteuses.

Métissage plus classique, Carlos Spottorno a parcouru le Xinjiang, province située à l’extrême ouest de la Chine, ancien Turkestan oriental dans lequel les ­kebabs et les mosquées des Ouïgours se frottent aux Han envoyés par Pékin. Un choc de cultures qui se retrouve dans les images délavées de l’Espagnol, lorsqu’un homme à la coiffe traditionnelle passe devant un pavillon chinois, lui-même situé devant un building, qu’un autre semble prier à côté d’une statue de Mao, qu’un oléoduc défigure le désert. Dans une série de portraits en mosaïque, on voit bien que le Turc ou l’Ouzbèke affleurent sur les visages davantage que le Chinois.

Autre témoin d’une terre globalisée, Eva-Maria Raab a entrepris de réhumaniser Facebook en lui rendant sa diversité. L’Autrichienne, ainsi, a retravaillé cent portraits de profil à la manière de l’image automatiquement proposée par le réseau lorsqu’on n’en télécharge pas une personnelle. La fille à l’éternelle coupe au carré et le type à la houppette se muent alors en élégante à chignon, en punk, en barbu, en bigleux. Pied de nez à l’immatérialité de la Toile, Eva-Maria Raab a fait de son inventaire un livre, à la couverture bleue.

Résolu à lutter contre les guerres de clans et de religions qui envahissent sa région, le Group Bouillon propose, en vidéo, une aérobic syncrétique. Dans un parc, à la manière des adeptes du tai-chi, cinq élèves enchaînent les mouvements décrits par un professeur en salopette bleue, autant de gestes chipés aux trois principales religions du pays: le christianisme, le judaïsme et l’islam. Frais et ravigotant.

On ne sait pas trop ce qu’ils font là, dans le grenier magnifique de l’Ancienne Couronne, mais l’on reste captivé par le spectacle de ces trois corps imbriqués et vacillant sur deux pattes. Sur trois écrans verticaux, un membre du trio JocJonJosh porte les deux autres dans une position étonnante et visiblement inconfortable. Combien de temps vont-ils tenir? La réflexion porte davantage sur l’économie collaborative que sur l’hybridation du monde. Encore que…

Presque aussi prenant, les considérations d’un jeune Européen en Afghanistan, récoltées par la Suissesse Gabriela Löffel et récitées par un comédien. Alors que l’on écoute les réflexions plus ou moins profondes de ce touriste en séjour «aventure» défilent sur trois écrans des scènes de cascadeurs jouant à la guerre parmi des cartons et les décors aéronautiques d’un studio de cinéma. On oublie vite les images pour se concentrer sur les propos, totalement inappropriés. Non, Bamiyan n’est pas Paris.

Journées photographiques de Bienne, jusqu’au 14 septembre à Bienne. http://2014.jouph.ch

Les photographes sont les témoins privilégiés d’une terre toujours plus globalisée