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Les pièges à regard de Spoerri

A Fribourg, deux expositions illustrent l'activité intense de cet artiste toujours jeune.

Le travail polyvalent de Daniel Spoerri présente des affinités avec celui de Jean Tinguely. Il était donc tout naturel que l'Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle accueille un hommage à l'artiste et au collectionneur. Le jardin de Spoerri en Toscane, devenu une fondation en 1997, est animé de près de 80 sculptures de ses amis (lire ci-dessous). A Fribourg, fruit d'une collaboration avec le Kunsthaus Grenchen, une exposition documente la genèse de ces pièces à travers des croquis, des lettres, des photographies, des maquettes et de petites sculptures. Tout ceci, qui se distingue par une propension à l'humour, à la générosité, à une survivance de l'esprit surréaliste, est signé de noms suisses et étrangers: Bernhard et Ursi Luginbühl, Dieter Roth, Meret Oppenheim, Olivier Estoppey, Roland Topor, Jesus Raffael Soto, Arman ou Nam June Paik.

En parallèle, le Musée d'art et d'histoire de Fribourg illustre la trajectoire de Daniel Spoerri au moyen d'œuvres appartenant à la collection Levy de Hambourg (focalisée sur les créations tardives), lot complété de prêts de collections suisses, qui permettent de retracer toutes les étapes de la carrière. Une carrière inaugurée sous le signe de la danse: né en 1930 en Roumanie, arrivé en Suisse pendant la guerre, Daniel Spoerri suit une formation de danseur à la Theatertanzschule de Zurich et devient danseur étoile au Berner Stadttheater. A Berne, il se lie avec André Thomkins, Meret Oppenheim, Dieter Roth, crée des chorégraphies et des poèmes concrets, met en scène des pièces d'avant-garde.

A Paris à la fin des années 50, Daniel Spoerri côtoie Duchamp, Man Ray, Pol Bury, il fonde les éditions MAT et invente le multiple. Différentes œuvres documentent cette activité d'éditeur «d'art transformable». Puis l'artiste signe le Manifeste du Nouveau Réalisme, fréquente les acteurs de Fluxus, inaugure sa série des tableaux-pièges et se retire, de 1966 à 1967, sur l'île grecque de Symi. En 1968 il est à Düsseldorf où il ouvre le restaurant Spoerri, puis l'Eat Art Galerie. Il enseignera à Cologne, Munich, Vienne, avant de s'installer à Seggiano en Italie, où son jardin de sculptures prend forme.

Cette intense activité se reflète dans les œuvres, par exemple dans les tableaux-pièges, composés d'objets «figés exactement dans la situation où ils ont été trouvés, sur leur support fortuit (table, boîte, tiroir, etc.)». Cette manière de geler la vie, de la part d'un artiste toujours en mouvement («Je hais l'immobilité. Je hais les fixations»), est destinée à «provoquer le malaise». L'artiste piège ses amis en révélant les reliquats de leurs agapes, il piège le spectateur aussi, confronté à ces restes de soirées joyeuses, devenus quasiment des signes de mort.

Comme chez Jean Tinguely, le thème de la mort prend d'ailleurs de plus en plus d'importance, suggéré par la présence de couteaux (Investigations criminelles, 1990), de trophées tels que des bois de cerf et des fourrures (Carnaval des animaux: le renard, 1995). Daniel Spoerri joue avec les mots, il prend des expressions au premier degré pour mettre en avant les absurdités de la parole, sa violence cachée, il s'amuse et nous amuse. Mais la composante morbide, et le kitsch, prennent le pas sur la simple utilisation du hasard et de la trouvaille. D'où une lourdeur un peu oppressante, compensée par la fraîcheur du jeu de cache-cache avec la nature, à Seggiano, au pied du Monte Amiata, où l'artiste installe ses propres créations (Labyrinthe de pierre) et celles de ses comparses dans le respect de la structure du terrain, de la flore et de la faune.

Daniel Spoerri à Fribourg. Musée d'art et d'histoire (rue de Morat 12, Fribourg, tél. 026/305 51 40/67). Ma-di 11-18 h (je 20 h). Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle (rue de Morat 2). Me-di 11-18 h (je 20 h). Jusqu'au 30 octobre.