Le futur vice-président associé pour l’éducation de l’EPFL – il entrera en fonction le 1er janvier – n’est plus instituteur depuis longtemps, mais il a contribué à changer le monde, au moins celui de l’éducation, comme pionnier des technologies éducatives. A Lausanne, c’est lui qui, avec son équipe du Centre pour l’éducation à l’ère digitale (CEDE), a lancé les premiers MOOC de l’école, ces Massive open online Courses, qui sont des cours à distance aujourd’hui suivis par 2 millions de personnes.

C’est lui aussi qui a mis en place la plateforme Moodle qui réunit les cours des enseignants et est surutilisée depuis le passage au tout en ligne à la fin du mois d’octobre. Lui, enfin, qui cogite sur de nouvelles applications éducatives bluffantes de l’intelligence artificielle dans son laboratoire.

Ce spécialiste des EdTechs a été l’un des premiers à pressentir comment le fait de combiner pédagogie, psychologie et informatique pouvait révolutionner l’éducation. En 1986. Quand 10 000 ordinateurs seulement étaient connectés dans le monde, quand les applications du machine learning à l’éducation émergeaient à peine. «A l’époque, nous étions trois.»

Auto-apprentissage

Tout a donc commencé dans une école, près de Bruxelles. Précisément dans la salle des maîtres, avec une remarque d’une de ses collègues saisie au vol par le tout jeune instituteur, il avait juste 20 ans: «Bientôt la retraite»… «J’adorais mon travail, mes élèves, mais je me suis dit que j’étais un peu jeune pour me poser.» Bien vu.

Premier de sa famille à avoir étudié à l’université, Pierre Dillenbourg décide donc d’y retourner, en cours du soir, pour approfondir ce qu’il a découvert au hasard de livres et de revues, et qui l’a immédiatement passionné: l’informatique appliquée au domaine scolaire. Envoyé à un colloque présenter son travail de master en sciences de l’éducation, il fait traduire son texte par une Américaine, et l’écoute en continu sur son walkman pour l’apprendre par cœur: à l’époque, il ne parle pas anglais. L’exercice, stressant, est concluant: il est invité à faire son doctorat à l’Université de Lancaster, dans un laboratoire dédié aux applications éducatives de l’intelligence artificielle.

«Nous travaillions sur la façon dont un ordinateur apprend par lui-même à choisir pour un élève la meilleure activité qui le ferait progresser.» Loin d’imposer le même enseignement à tous, l’idée est au contraire que la machine évalue les forces et les faiblesses d’un étudiant, et lui propose des activités qui s’adaptent à son niveau et ses progrès. Ce qu’on appelle le self-improving teaching system.

Quand l’Université de Genève propose à Pierre Dillenbourg un poste à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, il n’hésite pas une seconde. Il finira sa thèse à distance – rien que de très normal, si l’on y réfléchit bien… De la Suisse, il ne connaissait à l’époque que la Patrouille des glaciers, dans laquelle un ami l’avait embarqué en 1988 presque par hasard. On frémit, même si l’universitaire courait à l’époque entre 15 et 20 kilomètres tous les jours. Il confesse même avoir été vice-champion junior de ski de fond, en Belgique, ce qui relativise la performance, convient-il.

Mais à Genève, le maître d’enseignement et de recherche finit par se morfondre, rêvant d’aller plus vite, plus loin. Il rencontre Patrick Aebischer, le flamboyant patron de l’EPFL, en train de hisser son école dans la cour des très grands, entre nouveaux projets et partenariats. Et c’est le coup de foudre: «Aebischer était un séducteur qui installait une dynamique qu’il n’y avait pas à Genève.»

Pierre Dillenbourg part à Lausanne. Lui qui découvre les MOOC lors d’un congé sabbatique à Stanford – «J’habitais dans la même rue que Coursera!» – les développe à l’EPFL: le succès est immédiat, avec 50 000 inscrits dès la première année. Ils participent aujourd’hui de la renommée internationale de l’EPFL: un tiers des inscrits sont aux Etats-Unis, «mais 90% des inscrits à un MOOC ne vont pas au bout, c’est une réalité». Ni dogmatique ni idéaliste.

Son laboratoire Computer-Human interaction in learning and instruction (Chili) regorge de promesses. Une application qui permet à des apprentis charpentiers de visualiser les forces qui s’exercent sur des poutres, une autre qui simule l’évolution d’un jardin dans le temps selon les saisons ou les espèces plantées, pour des apprentis jardiniers: la réalité augmentée peut considérablement enrichir la pédagogie. «Il y a des gourous technophiles et d’autres très pessimistes, la recherche rend modeste, il n’y a pas de miracle en éducation. On pense trop à l’ordinateur comme à une télé, alors que ce qui compte, c’est la qualité des activités des étudiants.»

Parmi ses fiertés: l’application Dynamico développée au Chili lab, qui permet de détecter en une vingtaine de secondes les enfants dysgraphiques en mesurant une cinquantaine de paramètres comme l’orientation d’un stylet, la vitesse d’écriture, la force de la pression, et qui offre des programmes personnalisés de rééducation.

«Toujours ça de pris»

C’est ce qu’il a plaidé dans le groupe de travail qui a planché ces dernières semaines sur les modalités des futurs examens, sujet de préoccupation de tant d’étudiants par temps de pandémie. Quelles évaluations en ligne assurent l’équité entre étudiants, préviennent la fraude et conservent un niveau d’excellence qui ne dévalorise pas le diplôme?

«Aux Etats-Unis, les étudiants signent un code de bonne conduite, et tous les examens en salle ne sont même pas tout le temps surveillés. En vérité, c’est la qualité de l’examen qui protège de la triche. On peut proposer des examens en ligne avec livres ouverts en soumettant des petits projets à résoudre dans un temps donné. C’est ce qui attendra les étudiants dans leur future vie professionnelle.» Contrairement à ce qui avait d’abord été annoncé, la grande majorité des examens devraient finalement avoir lieu sur le campus, mais «si 20% peuvent se dérouler en ligne, c’est toujours ça de pris».

Son rêve aujourd’hui? Un «GAFA» européen des EdTechs, une plateforme géante qui permettrait de donner de la visibilité à une offre aujourd’hui très fragmentée. En 2107, Pierre Dillenbourg a lancé un Swiss EdTech Collider avec 30 start-up, elles sont aujourd’hui 90.


Profil

1960 Naissance à Waterloo, en Belgique.

1986 Master en sciences de l’éducation à l’Université de Mons, et record personnel au marathon (2h25).

1990 Rejoint l’unité Technologies de formation et apprentissage de l’Université de Genève.

2002 Arrivée à l’EPFL.

2012 Lancement des MOOC puis, cinq ans plus tard, du Swiss Edtech Collider.


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