Depuis 1997, année de sa création, le collectif de La Chaux-de-Fonds a fait connaître ses collages de (non-) sens et d'images loin à la ronde. Au centre de cette affaire incongrue: deux frères dont la dérision est désormais sollicitée pour des campagnes de pub et des événements culturels. Présentation des drôles de lascars à l'occasion d'une exposition lausannoise.
D'entrée de cause, c'est-à-dire à l'entrée même de l'immeuble, le ton est donné. Le N° 88 de l'avenue Léopold-Robert à La Chaux-de-Fonds affiche de sévères plaques en cuivre d'avocats, des plaques d'imprimerie plus loquaces, ainsi que celle-ci, carrément prolixe, et bornée par deux marteaux: «Plonk & Replonk éditeurs. Maîtres du monde de père en fils depuis 1997. Consulat honoraire de la République du Pim Pam Poum. Fournisseurs officiels du Zoo de Bâle. Elevage de nains de jardins fermiers. Littérature mécanique et à vapeur. N'importe quoi, gros et détail. Livres en papier. Hi-han. Premier étage». La couleur annoncée, montons.
L'atelier de Jacques et Hubert Froidevaux, 42 et 39 ans, évoque les collages de sens et d'images qui ont construit la réputation des frères chaux-de-fonniers. C'est un bric-à-brac d'affiches, de livres, d'ordinateurs, de nains enchâssés dans du béton, de vieux juke-box, de tee-shirts aux motifs étranges (un dessin de poulet rôti est légendé par «Petit à petit l'oiseau fait son nid») et d'anciennes étagères de pharmaciens dont le contenu persiste à provoquer des hallucinations. L'espace dit la déraison sociale de Plonk & Replonk, à la fois pôle de créateurs, maison d'édition et société de diffusion.
Surtout, il y a deux solides Jurassiens, originaires du Noirmont, à La Chaux-de-Fonds depuis toujours, qui viennent de vernir à Lausanne une ample exposition dédiée aux dimanches après-midi, ces espaces-temps flottants qui ressemblent, eux aussi, à l'univers des frères Froidevaux. Une centaine d'images, deux yuccas (yucca-là et yucca-ici), une batterie de nains bétonnés nourrissent cette exposition qui a été inaugurée le week-end dernier par le roi de Suisse en personne, Helevtus IV. Bien connus des lecteurs du Temps, le souverain porte les traits de l'ancien patron d'Hubert Froidevaux. Car il y a eu une vie avant l'aventure des cartes postales et des expositions.
La maman tient le Café de l'Union au Noirmont et le papa une scierie. Les deux frères s'inventent à l'adolescence des histoires sans fin dans lesquels les fabriques et entreprises étaient invariablement baptisées Plonk & Replonk. Ils découvrent avec d'autres ados, dont leur acolyte Miguel-Angel Morales, l'humour absurde de Pierre Dac et des Monty Pythons, ou le journal Pilote créé par Goscinny. Des fanzines naissent. Hubert suit à Bienne une formation de graphiste et lithographe, et Jacques des cours de commerce. En 1991, celui-ci doit reprendre la scierie de son père, décédé dans un accident. Mais il écrit bien et drôlement, Miguel Morales également, si bien que le duo sort un premier livre en 1995, un recueil d'aphorismes illustré par une quarantaine d'artistes: Simplicitudes et quelconquations – petit précis d'anodinage. Editeur: Plonk & Replonk.
Plutôt bosseurs et bien éduqués
En 1997, c'est le grand saut. Un frère abandonne la scierie au Noirmont, l'autre lâche son travail de retoucheur-lithographe à Lausanne. A La Chaux-de-Fonds, ils créent avec Miguel Morales et d'autres amis l'association Plonk & Replonk. Ils se lancent dans l'édition de cartes postales dédiées à leur ville d'adoption, ainsi qu'à d'autres cités ou régions romandes. Succès immédiat. Bien que fabriqué dans une vieille marmite illustrative (des photos de la première moitié du XXe siècle), le pot-au-feu visuel a un goût inédit. Grâce à des collages et des légendes délicieusement non-sensiques, le collectif impose d'emblée un style, bientôt reconnaissable entre mille. C'est une dérision douce, inventive, qui tourne en bourrique (hi-han) les Franches-Montagnes, les Vaudois comme les Genevois, les militaires aussi bien que les politiciens, et s'attaque aux stéréotypes plutôt qu'aux personnes, sans vulgarité aucune. C'est un humour à l'image des Froidevaux, gars caustiques mais timides, plutôt bosseurs et bien éduqués.
C'est aussi un humour désargenté. L'identité visuelle des Plonk trouve sa source dans la précarité économique, dans les images 1900 acquises bon marché, dans le sépia traité en bichromie parce que la couleur est trop chère, ainsi que dans le logiciel Photoshop, qui a rendu possible ce qui – les collages – aurait auparavant été trop onéreux à réaliser en laboratoire.
La situation s'améliore peu à peu. Dès sa naissance en mars 1998, Le Temps laisse une fois par semaine les coudées franches aux lascars de La Chaux-de-Fonds. Les séries de belles cartes postales se suivent, dédiées pêle-mêle aux métiers d'antan, au dessous du réel, à l'univers et même à Bienne. Si la France, via désormais une trentaine de points de vente, accueille avec intérêt l'autodérision de ces drôles d'Helvètes, la Suisse alémanique est jusqu'ici restée rétive à l'humour de Plonk & Replonk, à la notable exception de Berne. Les illustrations plonkiennes ont d'ailleurs été publiées pendant des années dans le Bund, comme elles ont trouvé place dans d'autres quotidiens suisses, français (Le Monde) ou belges (Le Soir).
Et ainsi donc naquit le lundi
L'invention visuelle du collectif, qui s'est réduit au fil des ans au noyau des deux frères, séduit également des institutions et des entreprises, bien que les Chaux-de-Fonniers éprouvent quelques difficultés à fréquenter le monde de la pub («Dès qu'on entend le mot «concept», on a envie de donner des baffes.»). Il n'empêche: les murs de Suisse romande ont été maintes fois égayés par des campagnes conçues par le duo, qu'elles vantent la radio Couleur 3 ou Pro Senectute, la Brasserie des Franches-Montagnes ou la prévention routière.
Les expositions, comme «Mondes parallèles et perpendiculaires, 40 000 ans de science-fiction contemporaine», organisée en 2002 à la Maison d'Ailleurs d'Yverdon et reprise un peu partout en Europe, scande la carrière de Plonk & Replonk. Lesquels seront mis à contribution au printemps prochain dans le cadre des célébrations du centenaire de l'Art nouveau à La Chaux-de-Fonds. L'exposition s'intitulera Pomme de terre et fer forgé.
L'avenir? Inquiet par la possibilité de la redite ou de la recette toute cuite, le duo se verrait bien explorer des pistes créatives plus aventureuses. Après tout, en 2001, les éditions britanniques Phaidon avaient placé dans un ouvrage (Blink) Plonk & Replonk parmi les cent artistes les plus inventifs de ce début de XXIe siècle. Lequel est encore long.
Comme l'écrit le duo en préambule du livre qui accompagne l'exposition sur les dimanches après-midi: «En créant le monde en une semaine, Dieu créa la semaine, dégât collatéral, qui provoqua le dépliage en accordéon du temps, avec les mois, les années, les siècles, les siècles et des siècles, et les files d'attente à la caisse. A ceux qui en demanderont le pourquoi et le comment, il ne sera pas répondu. Et ainsi donc naquit le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le dirlididi, le vendredi, le samedi, et le Dimanche Matin. Par la suite on a supprimé le dirilididi et toutes les choses créées ce jour-là, mais c'est une autre histoire.»
Les Plus Beaux Dimanches après-midi du monde, Plonk & Replonk, Galerie Humus, rue des Terreaux 18, Lausanne. Me-ve 10 -12 h et 14 -18 h 30, sa 10 -17 h, di 14-18h. Jusqu'au 24 déc. Infos: 021 323 21 70.