Au Poche de Genève, un pique-nique à l’ombre des «Fleurs du mal»
Spectacle
La metteure en scène genevoise Françoise Courvoisier tente de donner un piquant théâtral à Charles Baudelaire. Mais le spectacle, trop littéral, passe à côté de l’essentiel
«Les Fleurs du mal», au Poche de Genève
Un pique-nique avec Charles Baudelaire
Baudelaire et ses Fleurs du mal sont-ils solubles dans le théâtre? Non, se dit-on à la sortie du Poche de Genève. Les acteurs Aurélie Trivillin, Cédric Cerbara et Robert Bouvier ont beau maîtriser leurs hémistiches, la metteure en scène Françoise Courvoisier a beau enraciner les poèmes dans l’herbe de sa rêverie, le compositeur Arthur Besson a beau soigner ses refrains, le spectacle flotte à la surface, trop littéral pour toucher à l’essentiel.
Comment faire pour donner aux Fleurs du mal, cet élixir de survie, un destin théâtral? Françoise Courvoisier a identifié des figures, la femme d’abord, catin, muse fouettarde ou vaisseau fantôme, autant de rôles endossés par la jeune Aurélie Trivillin; le flâneur ensuite, qui d’une oisiveté fait un art de valdinguer, incarné par Cédric Cerbara; le poète captif de la passante, joué par Robert Bouvier. Dans son souci d’arrimer les poèmes aux planches – de «La Chevelure» à «Une Charogne» –, la directrice du Poche a imaginé, avec sa décoratrice Sylvie Lépine, un jardin où musarder, ce que les anciens appelaient un locus amoenus, enclos où chasser le démon de l’ennui.
Sur le papier, le dispositif séduit, qui intègre au montage des chansons de Brigitte Fontaine et Areski Belkacem. Mais sur scène, le ridicule guette, tant il est difficile de plaquer des accessoires sur Baudelaire. Voyez Robert Bouvier: il déboule du fond de la salle, pop dans son pantalon de cuir, un transat sous un bras. Sur le gazon, Aurélie Trivillin joue la vénéneuse, moelleuse déjà, toute à sa mélodie: «Tu me dis que je suis jolie entre guillemets, laisse tomber les guillemets…» A plat ventre, Robert Bouvier riposte: «Ange plein de gaîté, connaissez-vous l’angoisse/La honte, les remords, les sanglots, les ennuis/Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits/Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse?» («Réversibilité»).
Bref, c’est pique-nique pour tous. Cédric Cerbara, carrure vaguement grunge avec son jean mité, a rejoint le duo. On débouche une bouteille, du Chasse-Spleen sans doute. Ces verres qui se remplissent sont le symptôme d’une approche qui bride l’imaginaire au profit de la vignette. Il y a ce beau moment toutefois: la belle chuchote à la lueur d’une bougie les vers d’«Harmonie du soir». Ses compagnons reprennent: «Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,/Du passé lumineux recueille tout vestige!/Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…/Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!»
Baudelaire est un ami cruel. Ceux qui lui rendent justice au théâtre sont souvent de grands solitaires. Il supporte mal les albums de famille.
Les Fleurs du mal, Poche de Genève, jusqu’au 25 mai; 022 310 37 59; 1h20. Puis Neuchâtel, Théâtre du Passage, du 3 au 15 juin.