Romain Slocombe. Regrets d'hiver. Fayard, 480 p.
Ingrid Noll. Les Frères indignes. Trad. de Johannes Honigmann. Ed. Jacqueline Chambon, 240 p.
Qui aime bien châtie bien, dit-on volontiers en ces temps droitiers où se prône un retour drastique à l'éducation scrongneugneuse. Romain Slocombe, justement, aime le Japon, auquel il a consacré une ambitieuse tétralogie, La Crucifixion en jaune, radioscopie sans copmplaisance de la société nippone. Dans Regrets d'hiver, dernier tome de la saga, il aborde le plus noir épisode de l'histoire de son pays préféré : le « viol de Nankin » en 1937, qui vit l'armée nippone massacrer près de 200'000 Chinois. Sinistre histoire qu'avait déjà abordée Mo Hayder dans l'excellent Tokyo, mais que Slocombe empoigne de manière plus frontale, avec la confession insoutenable d'un ancien officier devenu capitaine d'industrie. En relation d'affaires avec ce vieil homme qui est aussi collectionneur d'art, le photographe Gilbert Woodbrooke, héros naïf et gaffeur de la série, tente de préserver sa santé mentale tout en renouant avec une ancienne maîtresse. L'affaire finit mal, évidemment, tant pour l'ex-tortionnaire que pour l'insouciant photographe. La force du récit tient au talent de « tricotage » de l'auteur, qui fait alterner les points de vue des victimes et des bourreaux tout en ménageant des entractes bienvenus, grâce aux mésaventures intimes de son truculent héros. Entre horreur et humour, le mélange des genres est délicat. Slocombe est l'un des rares auteurs français à y parvenir.
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Des atrocités militaires aux perversions familiales, voici le mythe d'Abel et Caïn transposé dans l'Allemagne contemporaine. Paul et Achim se jalousent depuis toujours. Avocat à Mannheim, Paul, 40 ans, mène une vie terne aux côtés d'une femme qui a mieux réussi que lui. Son cadet Achim, devenu concessionnaire automobile, est célibataire, charmeur, joueur, excellent cuisinier. A la mort de leur père, affreux bougon autoritaire, les frères se retrouvent dans la maison familiale pour assister la mère dont ils se disputaient l'affection, chacun étant persuadé que l'autre était le préféré. L'atmosphère devient délétère, d'autant plus que l'épouse de Paul vient d'apprendre, grâce au téléphone portable de celui-ci, que son mari la trompe depuis longtemps. Pas forcément une raison pour se retrouver dans le lit d'Achim, mais le huis clos forcé favorise les petites vengeances. Longtemps sans crime, l'histoire évolue tranquillement vers un carnage : on ne se méfie jamais assez de son frangin... Huitième roman d'Ingrid Noll, Les Frères indignes explore avec une noire jubilation les liens d'affection et de frustration qui emprisonnent les membres d'une cellule familiale. Là encore, un humour froid, presque britannique, semble être un excellent moyen de faire humainement face à l'insoutenable.