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Pragmatique et religieux

Traductions et essais donnent de la pensée du philosophe américain William James une vision renouvelée, bien éloignée de l'image de «servante de l'opportunisme».

William James. Philosophie de l'expérience. Un univers pluraliste. Trad. de Stephan Galetic. Les Empêcheurs de penser en rond, 238 p.

David Lapoujade. William James. Empirisme et pragmatisme. Les Empêcheurs de penser en rond, 156 p.

William James (1842-1910) est surtout connu pour son monumental Principes de psychologie (1890), qui eut une profonde influence sur des courants majeurs de la philosophie ultérieure (sur Russell, Wittgenstein, Husserl ou Bergson notamment). Depuis quelques années, travaux et traductions permettent au lecteur francophone de pénétrer plus avant dans l'œuvre de ce philosophe important, qui a fait de l'expérience et de la conscience son champ de réflexion privilégié, en renouvelant de manière très originale une conception trop exclusivement théorique.

Cofondateur du mouvement pragmatiste américain, James soutenait que la vérité consistait dans ce qu'il est avantageux pour nous de croire, une position que revendique aujourd'hui encore avec force son lointain héritier postmoderniste Richard Rorty. Mais James fut aussi un esprit profondément religieux et métaphysique. On s'en rendra aisément compte aujourd'hui avec la nouvelle traduction de l'une de ses dernières œuvres, A Pluralistic Universe (1909), ici traduit Philosophie de l'expérience; un univers pluraliste. D'abord conçu comme un état des lieux de la philosophie de son époque (ce qui en rend d'ailleurs la lecture quelque peu fastidieuse) - l'occasion pour lui de pourfendre l'abus de technicité de la philosophie professionnelle allemande, opposée à l'esprit anglais et français -, le livre se mue en un plaidoyer pour ce que James appelle «la continuité de l'expérience»: le fait que tout ce qui constitue notre expérience est infiniment enchevêtré, non isolable, et donc non conceptualisable. La réalité dépasse de toute part ce que les mots peuvent en dire; et la religion ou l'expérience religieuse peuvent précisément donner accès à un environnement spirituel plus large, qu'aucun intellectualisme ne devrait réduire: «Tant que l'on continue de parler, l'intellectualisme demeure sans conteste maître du terrain. On ne peut revenir à la vie en parlant», dit-il, tout à fait dans l'esprit de Bergson, qu'il cite comme un maître.

Comme le souligne David Lapoujade dans le livre qu'il lui consacre, le projet général de James «consiste à libérer les expériences de toute forme de pensée préexistante». Dans son étude de synthèse, fort accessible, cet auteur insiste avec raison sur l'importance de la notion de confiance dans la pensée pragmatiste de James, confiance dans le rapport avec soi, avec le monde, avec les autres, socle de toute expérience réelle et de toute communauté possible. Lapoujade réussit ainsi à donner du pragmatisme une vision bien éloignée de l'image de servante de l'opportunisme de l'homme d'affaires américain qu'il traîne encore derrière lui.