Ultime décision de la législature, le parlement jurassien validera selon toute vraisemblance, ce mercredi, un projet vieux de cinquante ans: doter le Jura d’un théâtre digne de ce nom, infrastructure jugée nécessaire aux milieux culturels mais également à l’image et à l’attractivité du canton. Le probable feu vert parlementaire devrait être soumis à une condition sine qua non qui s’apparente à un énorme piège: le Théâtre du Jura, qui s’inscrit dans un complexe immobilier à ériger au centre de Delémont, ne se fera que si des sponsors sont trouvés pour un total de 8 millions.

L’ancien maire de Delémont Pierre Kohler, qui a débloqué le projet longtemps enlisé en fournissant un hectare de terrain au centre-ville, fustige un mode de financement qui risque de tout faire capoter. Si le théâtre ne devait pas se réaliser, le complexe commercial, la centaine d’appartements et le parking souterrain pour lesquels la Coop et l’entreprise générale HRS investiront une centaine de millions passeraient aussi à la trappe.

Un numéro d’équilibre financier

Canton aux moyens restreints, soumis au programme Optima (35 millions à économiser sur les charges de l’Etat, 5% du budget), le Jura a pris une option sensée. Le gouvernement a raboté le crédit de construction du théâtre, de 33 à 24 millions, sans l’amputer de ses fonctions majeures mais en lui imposant la synergie avec les centres culturels régionaux, et notamment le Forum Saint-Georges voisin.

La recette du financement des 24 millions est, elle, discutable. Le gouvernement l’a divisée en trois parts. La vente à la Coop du terrain offert par la Ville lui rapporte plus de 6 millions. Le canton met 8,5 millions et il exige que 8 autres millions soient apportés par des partenaires privés.

Opter pour le partenariat public-privé est adéquat. Pourtant, conditionner la réalisation d’un projet jugé indispensable à l’apport aléatoire d’argent privé interpelle. C’est comme si le Jura transférait le pouvoir de décision que lui confère sa souveraineté cantonale, dont il est si sourcilleux, à d’éventuels partenaires non étatiques.

S’il a raison de dépenser avec modération, le Jura doit éviter le minimalisme et la pingrerie: 8,5 millions pour un théâtre, dans un complexe immobilier à plus de 100 millions, intégré dans le tissu urbain delémontain qu’il renforce, ce n’est pas cher payé. Le canton aurait pu faire voter le crédit complet, soit 24 millions, et trouver ensuite des sources de financement, sans en faire une condition sine qua non.

Une affaire de priorité

D’aucuns osent le parallèle: le canton n’a jamais rechigné à débourser 200 millions, en un quart de siècle, pour «son autoroute». Sans jamais trouver que c’était hors de prix! En fait, les 4 milliards qu’auront coûté les 48 kilomètres de la Transjurane sur territoire jurassien (mise en service intégrale en 2016) auront été financés à 95% par la Confédération, mais les 5% restants sont à la charge du canton.

Le même Jura a trouvé une formule ingénieuse pour financer son campus de formation tertiaire (HES et HEP) à Delémont: les 60 millions sont pris en charge par la caisse de prévoyance de l’Etat, le canton ayant conclu un contrat de leasing.

Le Jura sait aussi que des projets d’infrastructures culturelles dépendant de fonds privés ont avorté: la salle de musique de Courgenay, pourtant dessinée par les architectes Herzog & de Meuron, en est restée au stade de la maquette; le projet de musée paléontologique pour mettre en valeur les traces de dinosaures est au point mort, faute de soutiens financiers externes.

Solliciter des partenariats externes pour réaliser des infrastructures est judicieux. Mais le Jura prend un risque trop élevé en conditionnant leurs réalisations au sponsoring. Le parlement a la possibilité de retirer la «clause guillotine» des 8 millions, pour éviter de se tirer une balle dans le pied.