Tous les contes d’Andersen sont magnifiques, et La Reine des Neiges (1844) figure parmi les plus beaux. Le diable a construit un miroir magique renvoyant une image hideusement déformée des objets qu’il reflète – «Les paysages les plus charmants y prenaient un air d’épinards cuits»… Lorsque le démon monte vers le ciel pour se moquer du Très-Haut, le miroir explose. Des milliards de fragments se répandent dans l’atmosphère. Malheur à celui qui en ramasse un dans l’œil, car il ne verra plus que la laideur. Et s’il en reçoit un dans le cœur, il ne ressentira plus d’émotions.

Cette double malédiction tombe sur le petit Kay. Il rejette l’affection de Gerda, sa voisine. L’hiver suivant, il attache son traîneau à celui d’une belle dame tout de blanc vêtue et disparaît à jamais. Au printemps, Gerda part à sa recherche sur une route semée d’embûches. Elle retrouve Kay au milieu d’un lac gelé. Le petit garçon essaye de composer le mot «éternité» avec des morceaux de glace tranchante. Les larmes de Gerda font fondre les éclats du miroir magique, rompent le charme de la Reine des Neiges et ramènent l’enfant du côté des vivants.

Walt Disney rêvait déjà d’adapter La Reine des Neiges en dessin animé. Le projet a toujours achoppé sur des problèmes scénaristiques: à l’instar d’Alice, Gerda est trop seule. En 2002 et en 2010, des projets ont été suspendus. La solution retenue ne garde que 3% du conte originel – il y a une reine, de la neige, un renne…

Il était une fois dans quelque royaume du Danemark, ou juste à côté, deux princesses. L’aînée, Elsa, avait le don de givrer, glacer et enneiger tout ce qu’elle touchait. En jouant avec sa sœur Anna, elle lui gèle le cerveau. La fillette guérit, mais, craignant de blesser ceux qu’elle aime, Elsa s’enferme dans sa chambre. Elle n’en ressort que le jour de ses 18 ans pour devenir reine. La fête du couronnement tourne mal, libérant le pouvoir congélateur d’Elsa. Prise de panique, elle s’enfuit au nord du nord y fonder un château de glace. Anna part à sa recherche, accompagnée d’un tailleur de glace, de Sven le renne et d’Olaf le bonhomme de neige. Ça va chauffer sur la banquise!

Evidemment, dans le processus de transsubstantiation d’un conte étrange en divertissement coloré, la mélancolie a fondu. Le résultat final n’est pas honteux pour autant. Les logiciels d’animation 3D permettent des prouesses esthétiques pour représenter la cristallisation, la transparence et les reflets de la glace. Bouillant d’enthousiasme maladroit, cet idiot d’Olaf est un personnage craquant. Une concession au manga est faite avec le Transformer de glace défendant la citadelle de la reine. Et comme la chanson de Blanche-Neige («Un jour mon prince viendra») a vieilli, le film enseigne qu’un prince charmant peut cacher un saligaud… On goûte quelques dièses absurdes, comme le renne qui a la langue collée à une rambarde ou le traîneau plein de pains de glace explosant au fond du ravin…

Chez Hans Christian Andersen, la Reine des Neiges est une allégorie du froid, de l’hiver, de la glaciation des sentiments. Son palais relève de l’abstraction avec ses murs faits «de poussière de neige, les fenêtres et les portes de vents aigres». Chez Disney, le château rivalise en flèches et tourelles avec celui, emblématique, de la Belle au bois dormant. Quant à Elsa, elle pourrait faire partie des X-Men, au même titre que Iceman, le garçon qui a le pouvoir de geler ses ennemis. Telles sont les limites de l’imaginaire américain ramenant tout aux superpouvoirs et à la gestuelle des gosses qui jouent aux cow-boys, index tendu pour zapper l’autre. Le don d’Elsa s’apparente au fonctionnement d’un extincteur d’incendie…

En avant-programme, Get a Horse! Ce génial court métrage commence comme une Silly Symphonie préhistorique. Pourquoi ce trait sommaire en noir et blanc nécessite-t-il des lunettes 3D? Mickey et ses amis font la fanfare sur un char à foin tracté par Horace Dusabot, lorsque Pat Hibulaire, au volant de sa voiture automobile, ravit Minnie! La bagarre démarre. Dans le feu de l’action, Mickey est éjecté hors du film. Crevant l’écran, il atterrit, tridimensionnel et en couleurs, de ce côté-ci de la réalité. Chassés-croisés à la mode de Tex Avery entre les deux dimensions, les deux époques! L’écran pivote sur un axe horizontal, tel un zootrope dans la tempête!

Ce bijou transtemporel se base sur des esquisses et des sons d’époque pour un projet inabouti. Mickey a donc la voix de Walt Disney en personne!

VV La Reine des Neiges (Frozen), de Chris Buck et Jennifer Lee (Etats-Unis, 2013). 1h48.

Elsa pourrait faire partie des X-Men, au même titre que Iceman, le garçon qui congèle ses ennemis