Martial et violent, macabre et clownesque, le rock de Rammstein prend sa source dans les rigueurs d'une Allemagne divisée. Originaires de l'ex-RDA, les futurs rockers entament leur carrière dans les usines de Berlin-Est, répétant le soir après le travail. D'aucuns y voient l'origine du son du groupe, mélange de saturations métal et de rythmiques industrielles.
Très tôt, le ton est donné. Dans ses textes sulfureux, Rammstein explore un à un tous les tabous de la société contemporaine, du cannibalisme à l'hérésie. Chanteur caverneux du sextuor, Till Lindemann se transforme tous les soirs en torche humaine, crache du feu et baisse son pantalon pour simuler une sodomie brutale, avec éjaculation de pastis en prime. Sur leurs terres d'abord, ce rock germanique avec roulement de «r» théâtral fait fureur. Trop, sans doute, au goût des médias du cru, qui comparent cette manière de chanter à l'élocution d'Hitler et lancent la polémique d'un Rammstein néo-nazi.
«Les médias allemands se laissent volontiers emporter par ce genre de choses. Nous n'avons jamais écrit de chansons politiques et nous ne le ferons sans doute jamais, explique Christian Lorenz, dit «Flake», clavier du groupe. Ce n'est qu'une discrimination à l'envers, parce que nous sommes Allemands. Il est arrivé la même chose à Kraftwerk il y a 20 ans. Si nous étions Espagnols ou Hollandais, personne n'y verrait de problème.» Depuis pourtant, le groupe, ses admirateurs et les circonstances en ont rajouté quelques couches. Il y a d'abord David Lynch, qui choisit en 1997 deux de leurs chansons (ainsi que celles de Marilyn Manson, tiens, tiens…) pour illustrer les scènes les plus sanglantes de son film Lost Highway. Puis on apprend que les deux adolescents responsables du massacre de Columbine avaient fait de Rammstein la bande-son de leur courte existence.
Le groupe enfin, dont le nom provient d'un meeting aérien de 1988 au cours duquel 70 personnes périrent carbonisées, met de l'huile sur le feu en détournant des images de Leni Riefenstahl dans la vidéo de sa reprise de «Stripped» de Depeche Mode.
Paul Landers, guitariste: «Les Allemands ont du mal à vivre avec leur passé, il y a un gros sentiment de culpabilité par rapport à l'Histoire. Rammstein cherche à ne pas éviter le sujet et à faire en sorte que les Allemands arrivent à avoir une relation normale avec leur pays.» Prêcher le mal pour connaître le bien, voilà en vérité l'enjeu de cette mascarade à la violence symbolique. Peu de chance, donc, qu'une horde de néo-nazis s'en vienne chahuter ce soir les néo-babas de l'Asse.
Rammstein, ce soir, Grande Scène à 22h30. Rens. http://www.paleo.ch