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Rammstein à Paléo, le show qui fâche

Le groupe de rock dont l'esthétique flirte avec les extrêmes se produit ce soir. Retour sur un phénomène ambigu.

Qui a peur du grand méchant Rammstein? A l'enseigne d'un Paléo Festival apolitique et bon enfant, l'imagerie militaro-sodomite du groupe allemand fait tache. Une tache brune même, pour certains, persuadés que la provocation du groupe en fait le poste avancé de la tyrannie néo-nazie. Suppôts d'Hitler, que ces Allemands épris de pyrotechnie bruyante? Depuis des lustres, le groupe dément: «Toutes nos paroles tournent autour d'une seule chose – l'amour. Dans l'amour, il y a le sexe et toutes les déviances que celui-ci peut engendrer.»

Et cependant le malaise persiste. Ce printemps, à l'annonce de son concert de ce soir, l'association romande Intercept est montée au créneau pour dénoncer les «appels à la violence, à la drogue et à la haine de la société» que distillent, selon elle, les paroles du groupe. Un vice qu'elles partagent avec celles de l'Américain Marilyn Manson, autre bête noire de la scène rock dont le cirque macabre fait halte à Rock oz'Arènes d'Avenches le 17 août.

Martial et violent, macabre et clownesque, le rock de Rammstein prend sa source dans les rigueurs d'une Allemagne divisée. Originaires de l'ex-RDA, les futurs rockers entament leur carrière dans les usines de Berlin-Est, répétant le soir après le travail. D'aucuns y voient l'origine du son du groupe, mélange de saturations métal et de rythmiques industrielles.

Très tôt, le ton est donné. Dans ses textes sulfureux, Rammstein explore un à un tous les tabous de la société contemporaine, du cannibalisme à l'hérésie. Chanteur caverneux du sextuor, Till Lindemann se transforme tous les soirs en torche humaine, crache du feu et baisse son pantalon pour simuler une sodomie brutale, avec éjaculation de pastis en prime. Sur leurs terres d'abord, ce rock germanique avec roulement de «r» théâtral fait fureur. Trop, sans doute, au goût des médias du cru, qui comparent cette manière de chanter à l'élocution d'Hitler et lancent la polémique d'un Rammstein néo-nazi.

«Les médias allemands se laissent volontiers emporter par ce genre de choses. Nous n'avons jamais écrit de chansons politiques et nous ne le ferons sans doute jamais, explique Christian Lorenz, dit «Flake», clavier du groupe. Ce n'est qu'une discrimination à l'envers, parce que nous sommes Allemands. Il est arrivé la même chose à Kraftwerk il y a 20 ans. Si nous étions Espagnols ou Hollandais, personne n'y verrait de problème.» Depuis pourtant, le groupe, ses admirateurs et les circonstances en ont rajouté quelques couches. Il y a d'abord David Lynch, qui choisit en 1997 deux de leurs chansons (ainsi que celles de Marilyn Manson, tiens, tiens…) pour illustrer les scènes les plus sanglantes de son film Lost Highway. Puis on apprend que les deux adolescents responsables du massacre de Columbine avaient fait de Rammstein la bande-son de leur courte existence.

Le groupe enfin, dont le nom provient d'un meeting aérien de 1988 au cours duquel 70 personnes périrent carbonisées, met de l'huile sur le feu en détournant des images de Leni Riefenstahl dans la vidéo de sa reprise de «Stripped» de Depeche Mode.

Paul Landers, guitariste: «Les Allemands ont du mal à vivre avec leur passé, il y a un gros sentiment de culpabilité par rapport à l'Histoire. Rammstein cherche à ne pas éviter le sujet et à faire en sorte que les Allemands arrivent à avoir une relation normale avec leur pays.» Prêcher le mal pour connaître le bien, voilà en vérité l'enjeu de cette mascarade à la violence symbolique. Peu de chance, donc, qu'une horde de néo-nazis s'en vienne chahuter ce soir les néo-babas de l'Asse.

Rammstein, ce soir, Grande Scène à 22h30. Rens. http://www.paleo.ch