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Ray Parker Jr., le groove retrouvé

Le musicien américain était l’invité du Zurich Film Festival, à l’occasion de la première mondiale d’un documentaire qui lui est consacré. L’occasion de rappeler que sa carrière ne saurait se résumer au succès de la chanson titre de «Ghostbusters»

Ray Parker en concert au Montreux Jazz Festival, le 15 juillet 2009. — © Laurent Gillieron/Keystone
Ray Parker en concert au Montreux Jazz Festival, le 15 juillet 2009. — © Laurent Gillieron/Keystone

Non, il ne s’est pas réveillé un matin, a écrit la chanson titre de Ghostbusters et vendu des millions de disques avant de se rendormir. Au-delà de ce tube générationnel, Ray Parker Jr. a eu un parcours musical vertigineux, jalonné de collaborations marquantes. C’est ce que raconte Fran Strine dans le documentaire Who You Gonna Call?, présenté en première mondiale au Zurich Film Festival. Et c’est ce qu’a souligné le musicien en introduisant le film, tandis que Mathieu Jaton, le directeur du Montreux Jazz Festival, venu animer une conversation avec l’Américain, a d’emblée botté en touche les éventuelles questions: on n’est pas là pour parler de Ghostbusters!

Ray Parker Jr. adore malgré tout ce morceau écrit et interprété à la demande du réalisateur Ivan Reitman. Le renier reviendrait à rendre un billet loto gagnant, rigole-t-il. En a-t-il marre que tout le monde ne lui parle que de cela? Non, affirme-t-il dans Who You Gonna Call? Non… mais, aurait-on envie de rajouter, tant le parcours du natif de Detroit, marqué dans sa chair par les émeutes de 1967 – il avait 13 ans et a été tabassé sans raison par la police – compte avant tout parmi les plus grands guitaristes rythmiques des années 1970-1980.

Ni alcool ni drogue

Ray Parker Jr. a grandi dans un quartier où les Blancs étaient invisibles en dehors de l’écran de télévision. Son père, devenu le premier col blanc de la famille, a toujours souhaité qu’il suive ses traces et travaille dans un bureau. Mais le jeune Ray, suite à sa découverte de The Lovin’Spoonful, n’avait qu’une chose en tête: apprendre à jouer de la guitare électrique. Ce qu’il fera tête baissée en pratiquant jusqu’à douze heures par jour. Il a à peine 14 ans lorsque le percussionniste Hamilton Bohannon, leader d’un groupe de musiciens au service du label Motown, lui propose de le rejoindre. Ses parents ne sont guère enthousiastes, Bohannon les rassure: il n’y aura ni alcool ni drogue.

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Ray Parker Jr. est encore adolescent lorsque ses talents de guitariste en font un musicien de studio incontournable. Le voilà qui travaille pour Marvin Gaye, avant d’être engagé par le trio Holland-Dozier-Holland, qui dans les années 1960 a façonné le son Motown. Face à ce gamin de 15 ans, ils sont perplexes; après l’avoir entendu jouer, ils sont conquis. Le guitariste gagne plusieurs centaines de dollars par semaine et voit son rêve se réaliser.

Un jour, le téléphone sonne: «Hi, this is Stevie Wonder.» Il croit à une blague et raccroche. Wonder rappelle, il raccroche encore. Pourquoi une superstar l’appellerait en personne? Le musicien devra lui jouer l’introduction de Superstition pour le convaincre. Le guitariste a 18 ans lorsque son aîné l’emmène en tournée en première partie des Rolling Stones – ce n’est que plus tard qu’il réalisera vraiment ce qui lui est arrivé. Il se rappelle quand même que les groupies de Marvin Gaye hurlaient plus fort que celles du gang à Mick Jagger.

Dépossédé puis sacré

Peu à peu, il s’impose comme arrangeur, producteur et compositeur. Jouer au côté de Stevie Wonder, c’est faire partie d’une famille. Et on ne quitte pas sa famille. Mais il a d’autres ambitions, veut quitter New York – où il vit désormais – pour tenter sa chance du côté de Los Angeles, le royaume des musiciens de studio, les hired gun, ces mercenaires payés à la journée. Y allant au culot, affirmant à qui veut l’entendre qu’il est le meilleur guitariste du monde, Ray Parker Jr. se retrouve dans le même studio que Barry White. Entendant le chanteur travailler sur un nouveau morceau, il l’interrompt et lui dit qu’il a une idée pour une partie rythmique. White est convaincu et les deux musiciens cosignent You See the Trouble with Me. Parker a 22 ans, et tout semble lui réussir. Mais il apprendra que le business musical, c’est aussi la jungle.

La même année, en 1976, il écrit You Make Me Feel Like Dancing, qui sera finalement enregistré par Leo Sayer. A sa grande surprise, il n’est pas crédité. Lorsque le morceau recevra le Grammy Award de la meilleure chanson, il se sentira dépossédé, et décidera de ne jamais plus se laisser avoir. Deux ans plus tard, devenu membre du groupe Raydio, il compose Jack and Jill et savoure un succès qui est enfin le sien. Son jeu de guitare funky devient une marque, tout le monde veut travailler avec lui. Lorsque Herbie Hancock l’appelle, il lui fait une démonstration de virtuosité jazz. «Mais ce n’est pas ce que je te demande, je te veux pour ton groove», lui dit le pianiste.

En 1980, Raydio devient Ray Parker Jr. and Raydio. Puis naturellement, le guitariste et désormais chanteur se lance en solo, enregistrant deux albums avant que Ghostbusters ne décroche la timbale. Mais n’oubliant pas d’où il vient, il mettra au début des années 1990 sa carrière entre parenthèses afin de s’occuper de ses parents, malades. C’est finalement au sein des Crusaders de Joe Sample qu’on le retrouvera, notamment au Montreux Jazz 2003, six ans avant un concert solo. Et le voilà espérer revenir dès que possible sur les bords du Léman – face à un Mathieu Jaton qui n’en demande pas tant – avec Herbie Hancock.