Les paroles sont sans concession. «Aucun casque de réalité virtuelle actuel ou à venir dans un futur proche n’est assez bon pour devenir réellement grand public, même s’il coûtait zéro dollar. Vous pourriez donner gratuitement un Rift [un modèle de casque] et un PC à chaque habitant des pays développés, la grande majorité cesserait de l’utiliser au bout de quelques semaines ou mois.» L’homme sait de quoi il parle: il s’agit du fondateur et ancien directeur d’Oculus, la société conceptrice de casques de réalité virtuelle rachetée par Facebook.

Sur son blog, Palmer Luckey critique vertement des concepteurs de casques dont la qualité laisse à désirer. Il n’est pas le seul à le penser: qualité d’image médiocre, contenu limité, utilité toute relative… Ces accessoires, prisés au sein du grand public avant tout par les joueurs, peinent à se démocratiser. Et pourtant, ils peuvent être de remarquables vecteurs d’émotions et de réflexion, comme le prouvent les œuvres présentées lors du Geneva International Film Festival (GIFF) cette semaine.

Récits à plusieurs niveaux

Il y a d’abord le lâcher-prise, comme le permettent les œuvres Homestay et Vestige. Deux manières différentes de parler du deuil, deux mondes à explorer de manière quasi passive. Le spectateur est autant totalement captivé par des récits extrêmement bien écrits qu’ému par une narratrice que l’on sent si proche. Aucun autre écran n’offre de telles émotions.

La réalité virtuelle peut aussi offrir des récits à plusieurs niveaux. Il faut voir, dans la grande salle du GIFF dédiée à ces mondes, les enfants s’amuser avec Umami. Ils attrapent virtuellement des bâtons de surimis, se servent un verre de saké, renversent la bouteille, découpent un poisson en petits morceaux… Un adulte, lui, essayera de comprendre la succession de tableaux et d’actions proposées dans ce restaurant japonais. Pourquoi est-il incité à cuisiner ce plat en suivant des instructions simples? Pourquoi cette scène d’exécution à la fin?

L’envie de revoir

Rencontrée quelques minutes plus tard, Landia Egal, réalisatrice, explique avec passion son œuvre, Umami, créée et réalisée avec Thomas Pons. Le père du personnage principal d'Umami travaillait dans une usine de surimis, il ne s’intéressait jamais aux repas mijotés par son épouse, personne ne s’occupe de l’enfant. Ses explications donnent envie de revoir Umami pour essayer de mieux comprendre sa subtilité.

Landia Egal voit plus loin. «Le plus intéressant, c’est la composante humaine dans les projets technologiques. A la Mostra de Venise, nous avions présenté Umami dans le cadre d’une installation complète, avec deux acteurs physiques qui accompagnaient le spectateur de pièce en pièce. Même le saké, virtuel ici, était réel. Je trouve passionnant ce que la réalité virtuelle nous permet de créer, de faire ressentir. A Venise, les spectateurs étaient perdus et ne savaient plus du tout où ils se trouvaient.»

Moyens considérables

Ce lâcher-prise, cette immersion totale si déstabilisante, les spectateurs la ressentent totalement avec The Enemy. Ce spectacle nous met littéralement face à des combattants, dont certains ont commis les pires atrocités et qui sont pourtant si humains. Les moyens mis en œuvre sont considérables: il a fallu modéliser ces soldats, et le spectateur, muni d’un casque, évolue avec un ordinateur, dans un sac à dos, qui lui est relié.

Alex Schuhmann, responsable de la technique de la réalité virtuelle au GIFF, note que l’évolution technologique, autant logicielle que matérielle, permet une meilleure immersion. «Par rapport à l’année passée, les projets offrent une meilleure expérience sur les casques HTC Vive et Oculus Rift, qui, eux n'ont pas changé. De ce fait, la cinétose [mal du mouvement] est mieux contrôlée, les déplacements dans les univers virtuels sont plus fluides et l’on peut évoluer de manière plus relâchée dans ces nouveaux mondes.»

Dans un festival

Des mondes qui démocratisent de manière incroyable l’accès à la culture: sans rien connaître à la peinture, on ne peut ainsi être que subjugué en parcourant virtuellement les tableaux du Bûcheron ou de la Nuit de Ferdinand Hodler (produits par la RTS), ou encore plonger dans l’univers du Cri de Munch.

Reste qu’aucune de ces œuvres n’est disponible chez soi. Il faut encore se rendre dans un festival, dans un musée, pour vivre ces expériences. Visionner des œuvres si différentes, c’est tellement plus riche ainsi.

Festival GIFF à Genève

Dans le cadre du GIFF, du 2 au 10 novembre 2018. Billetterie et réservations: www.giff.ch