Jean-Luc Godard a révolutionné le cinéma. Et comme tout révolutionnaire, Zapata, Danton ou Trotski, le fondateur de la Nouvelle Vague mérite un film, n’en déplaise aux gardiens du temple. L’auteur d’A Bout de souffle n’est pas une divinité intouchable et Michel Hazanavicius sait qu’il est des outils plus légers que le marbre ou la glose pour rendre hommage aux gens que l’on admire. Celui qui a signé deux OSS 117 et The Artist en connaît un bout en matière de drôlerie. D’ailleurs, c’est quand il a prononcé le mot «drôle» que Anne Wiazensky, l’épouse du cinéaste à la fin des années 60, a accepté de lui vendre les droits de son livre autobiographique, Un An après.

Le film commence le 29 mars 1967. C’est le jour où la France lance un nouveau sous-marin, Le Redoutable – et accessoirement le jour où naît Michel Hazanavicius. Jean-Luc Godard (Louis Garrel, excellent) et sa jeune compagne, Anne Wiazemsky (Stacy Martin) sont d’humeur primesautière – même si l’insuccès de La Chinoise, son premier film purement politique, contrarie un peu le cinéaste. La tornade de Mai 68 va balayer la félicité conjugale: ayant contracté le virus de la révolution, Godard renonce au cinéma. Il fait son autocritique, se brouille avec ses amis, renie le 7e art. Et s’éloigne inéluctablement d’Anne.

Fesses nues

Pour raconter cette abjuration, Hazanavicius s’approprie avec finesse la grammaire godardienne. Il reconduit et détourne joyeusement les codes de son cinéma. En inventant des calembours («M. et Mme Nou ont une fille – Marion») et des aphorismes («Mao c’est du chinois», «Le cinéma, y a Truffaut pour ça»), en plaçant dans la bouche de JLG des sentences définitives («Je suis sûr que si tu demandes à un acteur de dire que les acteurs sont cons, il le fait»), en intercalant des cartons, en pratiquant la citation – les fesses nues du Mépris ou les dialogues passant par des titres de livres d’Une Femme est une femme. Sans oublier cette désopilante scène au cours de laquelle Jean-Luc et Anne, nus comme des vers, dénoncent la nudité au cinéma…

Astucieuse, malicieuse, pleine d’empathie, cette tragédie de couple qui retrace une page d’histoire et que pimentent des éléments de pure comédie est un bonheur de cinéphile. Et une démonstration de l’exceptionnel talent de Michel Hazanavicius.


Le Redoutable, de Michel Hazanavicius (France, 2017), avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo, Micha Lescot, Grégory Gadebois, 1h47.

Un An après, d’Anne Wiazemsky, Folio, 234 p.