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Rentrée littéraire. Autoportrait en jeune artiste amoureux

Dans sa correspondance avec Antoinette de Watteville, qui finira par devenir sa femme après bien des péripéties, le jeune Balthus affirme une claire conscience de sa vocation de peintre.

Balthus

Correspondance amoureuse avec Antoinette de Watteville, 1928-1937

Buchet-Chastel, 498 p.

Alors que les Journées du patrimoine promettent la visite du Grand Chalet de Rossinière où Balthus a vécu les vingt-cinq dernières années de sa vie, sa Correspondance amoureuse souligne son attachement ancien à la Suisse, lié à des séjours durant l'enfance à Berne et à Beatenberg, dans l'Oberland bernois. Antoinette, dite Bébé, est la petite sœur de son ami Robert (ou Robi) de Watteville.

Lorsque commence leur correspondance, le jeune peintre de 22 ans part pour Kenitra, où il fait son service militaire en burnous bleu et chéchia rouge, dans un régiment de tirailleurs marocains. Après quinze mois de séparation, Balthus passe l'été 1932 à Berne pour y copier les portraits de paysans en costume de Joseph Reinhardt. Mais ce retour est douloureux, car il a désormais un rival dans le cœur d'Antoinette: un diplomate belge aisé, alors que lui-même est sans le sou.

A Paris, d'abord chez ses amis Pierre et Betty Leyris, puis rue de Furstenberg, Balthus travaille sans relâche à mille projets parmi lesquels l'illustration de Wuthering Heights (livre qui lui est aussi cher qu'à Bébé) et le grand tableau La Rue, dont Jean Cassou dira qu'elle semble «immobilisée dans la stupeur d'un rêve quotidien et enfantin». D'autres admirateurs se manifestent, comme Julien Green ou Picasso, et sa première exposition parisienne, en avril 1934, connaît un succès public et critique considérable. Mais Antoinette, qui souffle le froid et le chaud, prie son «cher petit» de ne plus lui écrire et Balthus tente de se suicider au laudanum; il est sauvé in extremis par Artaud, pour lequel il fera au printemps suivant les décors des Cenci.

Comme on le voit dans la lettre ci-dessus, il s'agit d'une correspondance intéressante à plusieurs titres: le fils du peintre, Thadée Klossowski de Rola, qui a établi et commenté avec son frère le texte de ces 238 missives (en les complétant par d'autres: du diplomate belge, de Balthus à son père ou d'Antoinette à son frère), parle à juste titre d'un roman d'amour avec péripéties, coups de théâtre et happy end. L'intérêt de ces lettres est aussi, bien sûr, d'offrir l'autoportrait d'un jeune artiste au début de sa carrière, au moment où il affirme sa vocation singulière avec une passion et un orgueil à peine tempérés par l'humour.

Contre l'indifférence du public, Balthus préconise le 1er janvier 1934 le recours à l'érotisme (naturellement «de la plus haute qualité», dit-il) pour atteindre l'instinct. Et dès que Bébé lui donne l'occasion de croire qu'elle l'aime, il prophétise qu'il fera «de grandes choses pour elle, qui plongeront le monde dans l'étonnement». Rêve réalisé puisqu'il finira, en avril 1937, par épouser l'enfantine, sensuelle et rieuse Antoinette, placée par lui comme une héroïne triomphale au premier plan lumineux de sa vaste toile La Montagne. Plus tard, ils se sépareront, puis divorceront en 1966, mais ceci est une autre histoire.