Seuil, coll. Fiction & Cie, 300 p.
En 1998, Le Feu au lac (Prix Lipp-Genève) mariait humour noir et burlesque pour traiter du manque de générosité de notre pays durant la dernière guerre – thème déjà ébauché dans Cabinet portrait (Prix Médicis 1980, réédité aujourd'hui en poche). Ce qui faisait alors déclarer à Jean-Luc Benoziglio qu'il se tournerait à l'avenir «vers autre chose, dont il n'avait encore qu'une très vague idée». On peut aujourd'hui qualifier de radical le changement de décor et de sujet de son onzième roman, La Pyramide ronde.
Le lecteur abasourdi est embarqué dans une Egypte ancienne de haute fantaisie, vers l'an -1350. Assis sur son trône de bois précieux, Pharaon – «que ses jours se prolongent!» – s'entretient de ses projets de réforme avec son grand prêtre, Khonsil d'Otrante, cependant que le scribe Stéh-no ne perd pas un hiéroglyphe de leurs propos. Sa pyramide à lui, que cela soit clair (même s'il s'exprime dans le parler chantant de ses lointains ancêtres d'Alexandrie, c'est-à-dire en alexandrins), Pharaon la veut ronde: «Entendez-vous, r-o-n-d-e, ou: bouche/ caille/ surface d'eau ridée/ main/ et-la-méprisable-voyelle-qui-ne-se-trace-pas, comme vous vous obstinez sans doute encore à l'écrire», déclare-t-il au grand prêtre balbutiant, avant d'ajouter qu'il compte aussi réformer l'écriture, «pour simplifier un peu l'inextricable maquis de nos lettres».
Joyeusement anachronique, ce récit de la grandeur et de la chute d'un souverain visionnaire, malheureux en politique comme en amour, glisse çà et là des réflexions tout à fait contemporaines sur les incertitudes du pouvoir, les non-sens de l'histoire, le temps qui passe et la vieillesse («on pourrit par places, on durcit à d'autres, on ne mûrit pas») ou encore l'exclusion sociale ou la violence faite aux femmes. Mais ce contenu est constamment phagocyté par une forme proliférante, comme si Benoziglio, emporté par sa verve, entendait ne se priver d'aucun calembour. A commencer par les noms des protagonistes, de l'architecte Leu-Korbû (qualifié par beaucoup de «fâ-dâh») au maître d'armes Kou de Janârk, du médecin P-Tôse au cocher Fou-Hêt, du cordonnier Bâta au charron Pinha-Farina, de la prostituée Latame de Pik au chef de la police Epandage du Limier, du poète Apô-Linère au pigeon voyageur Chrô-Nopost, j'en passe et des meilleures comme ce «drame, ouais, nommé désir»…
A ces calembours appuyés (il faudrait parler aussi des nombreux pastiches), s'ajoute la virtuosité funambulesque d'une écriture qui file de longues phrases de plusieurs pages pour relater les visions pharaoniques, ponctuées de coups de cymbale. Les amateurs apprécieront, même si l'on est en droit de juger excessive l'accumulation des effets spéciaux dont bénéficie ce péplum littéraire.