L’Allemagne et l’Italie n’ont pas été seules à connaître des «années de plomb» faites de terrorisme de gauche et de répression policière. Le Japon n’a pas été en reste, à en croire United Red Army. Vous vous êtes passionnés pour Buongiorno, notte (Marco Bellocchio), L’Avocat de la terreur (Barbet Schroeder) ou La Bande à Baader (Uli Edel)? Alors ne manquez pas ce film signé Koji Wakamatsu, visible jusqu’au 15 novembre au Spoutnik de Genève.

Avec ses trois heures de projection, son mélange docu-fiction, ses énumérations pour mémoire et sa musique lancinante signée Jim O’Rourke (ex-Sonic Youth), c’est un film un peu monstrueux. Mais il sort enfin de l’ombre, à 71 ans, le «Godard de l’érotisme nippon». Auteur de 100 films depuis 1963, producteur de L’Empire des sens d’Oshima, Wakamatsu se définit comme un «cinéaste de guérilla» anti-establishment. Depuis les années 1980, le déferlement vidéo et porno avait toutefois rendu obsolète son cinéma de contestation érotico-politique et expérimental.

A l’âge des bilans, ce proche des mouvements d’extrême gauche n’a en tout cas pas raté le dernier tournant. Film en trois actes, United Red Army impressionne par sa clarté de vue. Tout en restant résolument du côté des militants, il démonte en effet les rouages d’un véritable processus d’autodestruction.

Autocritique sans merci

La première partie, documentaire, qui relate la radicalisation du mouvement estudiantin de 1960 à 1970, est la plus ardue. Images d’archives et réunions d’étudiants (où chacun est dûment identifié) se succèdent sans que l’on retienne grand-chose d’autre que son ampleur insoupçonnée et sa constante: l’anti-américanisme, depuis la remise en cause d’un certain Traité de sécurité à la guerre du Vietnam. Puis la répression pousse les plus radicaux vers la lutte armée, et le vrai film peut commencer.

Fin 1971, deux factions regroupées sous le nom d’Armée Rouge Unifiée se retrouvent dans les montagnes pour un camp d’entraînement militaire et idéologique. Mais celui-ci vire bientôt à l’épuration dans un rituel parano-sadique d’autocritique hérité de la Révolution culturelle maoïste. Les personnages gagnant en consistance, ce huis clos devient hallucinant.

La dernière heure voit ensuite les rescapés (après dix morts!) sortir de leur tanière pour se retrouver traqués par la police, cinq d’entre eux se réfugiant dans une auberge dont ils prennent la propriétaire en otage. C’est le fameux «incident d’Asama-sanso», suivi en direct par la télévision, mais ici entièrement reconstitué «de l’intérieur». Toutes les contradictions de nos «révolutionnaires» éclatent alors au grand jour, renvoyant l’internationalisation subséquente du mouvement à l’anecdote. Antirévolutionnaire, Wakamatsu? Juste lucide, d’où la réussite de son film.

United Red Army (Jitsuroku rengo sekigun: Asama sanso e no michi), de Koji Wakamatsu (Japon 2007), avec Go Jibiki, Akie Namiki, Arata, Kaoru Okunuki, Maki Sakai. 3h10