Musique
Au MAH de Genève, deux chaises longues et plusieurs caissons vibrent au rythme de la musique pour transformer une visite au musée en une expérience multisensorielle accessible aux personnes en situation de handicap. «Résonance» propose sept concerts, de janvier à juin

Au milieu de la Salle Calame du Musée d’art et d’histoire (MAH) trône un curieux barda. Des caissons, des câbles, un ordinateur, une basse électrique à double manche mais surtout deux chaises longues au design épuré, que l’on croirait tout droit sorties d’un magazine d’ameublement scandinave. Tout un mobilier technologique qui semble presque jurer avec les toiles des paysagistes Alexandre Calame et François Diday. Des décors alpestres de l’ère romantique côtoyant l’avant-garde de l’ingénierie acoustique. Un lien unit pourtant ces deux mondes: le mouvement. Des œuvres faisant vibrer l’âme et des sièges de bois secouant les corps, littéralement. Ou quand peinture et musique entrent en résonance. D’où le nom du projet, bien évidemment, proposé par les musiciens Charlotte Nordin et Raphaël Ortis, ainsi que Jérémy Marozeau, chercheur-enseignant à l’Université technique du Danemark.
Lire aussi: Marc-Olivier Wahler: «Il faut libérer le musée de ses hiérarchies aliénantes»
Des chaises pour toutes et tous
On peut se demander ce que vient faire ici tout ce dispositif, avec pour le moment sept concerts à la clé étalés de janvier à juin. Passé les premières interrogations quant aux potentiels problèmes de voisinage, place aux explications. L’institution pilotée par Marc-Olivier Wahler veut jouer avec les sens, les faire se mélanger pour qu’une visite au musée aille plus loin qu’une déambulation de salle en salle et faire de la multisensorialité un des grands axes du MAH. Donner voix aux tableaux de Calame et Diday en quelque sorte. Et aux musiciens invités de nous interpréter ce que sifflerait le vent dans les arbres de L’Orage à la Handeck. Mais derrière le mariage – heureux? – de ces deux univers se cache surtout la ferme volonté de rendre les expositions plus inclusives pour les personnes en situation de handicap. Dans ce domaine, le bâtiment de la rue Charles-Galland n’en est pas à son premier coup d’essai.
Derrière l’originalité du dispositif se cache en effet un air de déjà-vu, le MAH ayant déjà accueilli une performance similaire. En octobre 2020, percussions et contrebasse faisaient leur apparition pendant deux semaines sur les parquets du musée, déjà sous l’impulsion du trio Charlotte Nordin, Raphaël Ortis et Jérémy Marozeau. Pas encore de transats sonores mais de simples caissons disposés en arc de cercle. La Salle Calame, décidément bien bruyante, accueillait déjà ce projet visant à «ouvrir les collections à des publics «empêchés». Rebelote donc cette année, mais cette fois-ci version 2.0 et sur une durée plus longue. Le public cible reste le même, tout comme la vocation du musée de se tourner vers une population ayant moins accès au monde de l’art, quel qu’il soit, précise Marc-Olivier Wahler: «Le but est d’essayer d’offrir au public une expérience artistique égale pour tous les visiteurs tout en s’efforçant de ne pas avoir de hiérarchie entre les œuvres du musée.»
Lire aussi: Castagne féministe au Musée d’art et d’histoire de Genève
Entre musique et ingénierie
Voilà pour le volet politique inclusive. Pour la pratique et la théorie, il faut se tourner vers les créateurs de Résonance. Jérémy Marozeau s’intéresse depuis plusieurs années à rendre le monde de la musique plus accessible aux personnes malentendantes. C’est comme ça qu’il en est venu à s’associer à Charlotte Nordin et Raphaël Ortis, les deux artistes-musiciens proposant une intéressante palette sonore pour ce projet, alliant à la fois hautes et basses fréquences. Depuis le premier volet du projet fin 2020, le trio a perfectionné ces caissons prototypiques pour aboutir à un concept de chaises vibratoires construites à l’Université technique du Danemark par trois étudiants de Jérémy Marozeau.
Composés de lamelles découpées au laser, ces deux objets prennent vie sous l’impulsion des notes jouées en live par un musicien grâce à des transducteurs, sortes de haut-parleurs vibrants: «La technologie avec laquelle nous travaillons est aussi utilisée pour des lits de massage. Elle est plus subtile que celle que l’on peut retrouver dans les sièges de cinéma par exemple. Le but n’est pas de secouer le visiteur mais de chercher une forme de subtilité», illustre Jérémy Marozeau.
Du frémissement au déluge sonore
A demi couché, on peut ressentir des micro-vibrations dès les premiers coups d’archet de Kasper Toeplitz sur sa basse électrique. Directeur artistique d’Art Zoyd Studios, il s’est quant à lui occupé de créer un logiciel faisant évoluer dans le temps les ondes sonores créées lors de chaque concert. Entre chaque événement, le public pourra donc découvrir une œuvre en mouvement qui mutera pendant tout un mois: «On ne voulait pas que les différentes œuvres n’existent que durant les performances live. L’idée était donc de créer quelque chose de mouvant, comme un très long écho qui va évoluer à travers le temps.» C’est d’ailleurs lui qui ouvrira le bal de ces sept concerts, accompagné d’une danseuse pour une performance plus transversale que jamais.
De leur côté, les chaises musicales continuent leur travail. Le léger frémissement devient progressivement tremblement puis véritable déluge sonore. La musique expérimentale de Kasper Toeplitz semble imiter les ciels orageux de certains Calame et Diday de la salle. Et c’est sûrement le but. Chaque artiste invité à se produire au MAH a droit à trois jours de résidence pour s’inspirer du romantisme pictural des lieux, pour ensuite le reproduire en sons et en vibrations. L’expérience est inédite, le résultat laisse songeur. La tête encore bourdonnante, difficile de se faire une idée précise de la plus-value artistique de ce dispositif. Mieux saisir le sens des fresques qui entourent les visiteurs? Peut-être. Des paysages qui se densifient tout en gagnant en profondeur? Un peu. Sans forcément être transcendante, la performance a néanmoins le mérite de jouer pleinement la carte de l’inclusivité. Et d’offrir aux visiteurs une expérience étonnamment apaisante, ce qui n’est pas non plus négligeable.
Premier concert le 20 janvier. Plus d’informations et autres dates sur le site du MAH ou celui de Résonance.