Retour dans les lieux de culture: un public prudent et des cantons à l’écoute
Coronavirus
Réalisée en collaboration avec la Conférence des délégués cantonaux aux affaires culturelles, une enquête montre qu’un quart des Suisses ne souhaitent pas reprendre une activité normale avant que la crise sanitaire ne soit vraiment terminée

Etes-vous prêts à retourner dans les lieux culturels «sans crainte particulière»? A cette question, posée à 880 personnes entre le 29 mai et le 5 juin, seulement 25% d’entre elles ont répondu par l’affirmative. Autrement dit, trois quarts des Suisses émettent des réserves quant à leur retour dans les salles de spectacle, cinémas, musées et autres espaces culturels. Menée en concertation avec la Conférence des délégués cantonaux aux affaires culturelles (CDAC), l’enquête «Les sorties culturelles post-Covid-19» a été effectuée par L’Œil du public, agence de marketing culturel active en France depuis 2013, et dont l’antenne suisse a été créée il y a deux ans.
Directeur de cette dernière, Fabien Morf se dit surpris par cette proportion de sondés souhaitant rester prudents – même si l’étude donnerait potentiellement des résultats différents si elle était refaite aujourd’hui ou à la rentrée, estime-t-il. Conséquence directe de cette crainte de retrouver une activité culturelle normale, même si les lieux eux-mêmes ne fonctionnent pas selon leur schéma habituel et ont pris les mesures sanitaires nécessaires, près de la moitié des personnes interrogées pensent qu’elles vont réduire leurs dépenses ces douze prochains mois. Un quart affirment même vouloir attendre que la crise sanitaire soit vraiment terminée avant de renouer avec les sorties culturelles.
Nos article sur l'assouplissement décidé par le Conseil fédéral:
Les indépendants en première ligne
Si l’étude s’est également penchée sur les activités durant la période de semi-confinement, c’est cette projection vers demain qui pour les délégués cantonaux reste la plus intéressante. Pour Philippe Trinchan, il est primordial que les acteurs culturels sachent quelles sont les attentes du public, et comment il compte se comporter à l’avenir – ce qui passe notamment par les abonnements de saison. Au sein de ce public fidèle, 53% des abonnés disent par exemple vouloir le renouveler. Chef du Service de la culture du canton de Fribourg, président cette année de la CDAC romande, Philippe Trinchan insiste sur la nécessité de soutenir les indépendants, ceux qui sont en bout de chaîne et ont été les premières victimes de la crise.
«On s’est rendu compte que la culture est un système au fonctionnement complexe, qu’il n’y a pas que les artistes et les institutions», souligne-t-il en évoquant notamment les entreprises spécialisées dans la technique et le son, pour lesquelles le manque à gagner est extrêmement important. «C’est pourquoi nous avons mis en place un dispositif spécifique d’aide à la culture. Car il s’agit d’un secteur économique important, comme on s’en est enfin rendu compte. Prenez l’exemple de New York: si les théâtres de Broadway restent fermés, ce sont tous les restaurants et magasins des alentours qui souffrent. Le tourisme culturel est important. Quid de Lucerne sans son prestigieux festival classique?» Pour le Fribourgeois, il faudra au moins une année avant que tout ne rentre dans la normale. Après la phase d’urgence consistant à panser les blessures, il convient de réfléchir aux moyens les plus efficients de soutenir les acteurs et entreprises culturels dans cette reprise dans l’incertitude.
Structures agiles mais fragiles
Son homologue pour le Valais, Jacques Cordonier, qui s’apprête à prendre sa retraite à la fin du mois, insiste de son côté sur l’importance d’agir aux deux extrémités, de soutenir la production tout en facilitant l’accès à la culture – il cite par exemple l’AG culturel, cet abonnement qui offre aux moins de 26 ans l’entrée dans plus de 200 lieux dans cinq cantons romands. «En tant que responsables des services culturels, nous devons tenir un discours à la fois sur la sécurité et la facilitation de l’accès. Il faut prendre cette crise comme une opportunité de nous réinventer.» A l’instar de Philippe Trinchan, le Valaisan insiste sur l’importance de concevoir la culture comme un système fonctionnant à l’échelle romande, et composé d’une multitude de petites structures agiles mais fragiles, et qui le sont dès lors plus encore. «S’il est important de maintenir notre soutien aux institutions subventionnées, nous devons inclure dans nos réflexions les secteurs annexes, comme les entreprises de construction qui travaillent pour les festivals.»
Jacques Cordonier comme Philippe Trinchan se disent malgré tout confiants quant à une reprise des activités, pour autant que les leçons de la crise soient prises en compte. Un basculement vers le numérique? Ils n’y croient pas, le manque provoqué par le semi-confinement ayant au contraire renforcé l’importance de la culture comme un moment de partage collectif.
L’étude «Les sorties culturelles post-Covid-19» peut être commandée gratuitement sur le site www.loeildupublic.com.
Manifestations de plus 1000 personnes: les promoteurs restent perplexes
A partir du 1er octobre, les grandes manifestations de plus de 1000 personnes seront de nouveau autorisées, mais sous conditions. Et les autorisations seront délivrées par les cantons. Les deux plus importants organisateurs romands d’événements culturels restent mitigés
Michael Drieberg (Live Music Production): «Pour nous, c’est la pire des décisions. Il y a un beau titre, «on peut reprendre les grandes manifestations», mais quand on lit les sous-titres, avec la compétence redonnée aux cantons, ce sera ingérable. Il n’y a pas de décision claire, à l’inverse des pays environnants. Nous sommes dans une situation où un canton pourra annuler un concert deux jours avant, car le nombre de cas aura augmenté. Cela aurait été plus simple de placer une limite à 2000 ou 3000 personnes avec des mesures strictes à respecter, comme le port du masque et le traçage. Début octobre, j’ai un spectacle de Jérémy Ferrari à Genève et à Lausanne. Je pourrais me retrouver dans une situation où un canton annule la représentation tandis que l’autre la valide.»
Vincent Sager (Opus One): «Les décisions seront laissées aux cantons avec «de nouveaux critères sévères». Ce sera donc relativement compliqué pour les tournées qui passeront par plusieurs cantons. Dans l’immédiat, on doit attendre de connaître ces nouveaux critères pour analyser plus finement la situation au cas par cas. Je pense que nous pourrons maintenir certaines dates de tournées suisses (Yann Marguet, Caravane en Chœur, etc.), mais que les tournées internationales vont continuer à dépendre de la situation ici et ailleurs. Nous n’en avons donc pas terminé. Et pour nous qui dépendons exclusivement de la billetterie pour financier nos projets, la question de l’utilisation effective des jauges (assis, debout, sièges vides ou pas, etc.) sera déterminante pour savoir si ce sera économiquement réaliste d’organiser des événements.» S.G.