Pas de valse sépia, pas de folklore en sabots dans cette collection vibrante de symphonies de poche: urgent et précieux, politique et poignant, l'art de Yann Tiersen est ici à son zénith. Musique de chambre aux fenêtres béant sur l'océan indocile. Confidences.
Le Temps: «Les Retrouvailles» a été écrit sur l'île de Ouessant. Avez-vous besoin de cette condition monacale pour composer?
Yann Tiersen: Détrompez-vous! C'est à Paris que je me sens enfermé. Quand je suis ici, je sors peu, je n'aime pas les grandes villes. Paris n'est qu'un lieu de travail et de transit pour moi. Alors qu'à Ouessant, j'ai une vraie vie sociale qui nourrit mon travail: quand rien ne vient, je vais boire des coups, jouer à la pétanque, je me repose, tout y est beaucoup plus détendu.
– Vos titres évoquent souvent des lieux, des moments («La Plage», «Le Matin», etc.). Votre musique naît-elle d'un paysage, d'un instantané?
– Non, jamais. Les titres arrivent en dernier, et correspondent à quelque chose de très concret. «Le Matin», par exemple, s'appelle ainsi simplement parce que je l'ai composé le matin! Pour moi, ce sont des repères, une manière d'inscrire ma musique dans le moment ou le lieu de sa composition.
– L'image, pourtant, occupe depuis quelques années une place prépondérante dans votre travail, qui a été utilisé dans de nombreux courts ou longs-métrages…
– Oui, mais je pense que c'est précisément parce que je n'impose pas d'images dans ma musique qu'elle finit par attirer les cinéastes. Je ne compose jamais à partir d'un concept. Je pars toujours d'une simple idée musicale, qui évolue ensuite en chanson. Parfois le recours au texte s'impose, parfois non. C'est aussi simple et instinctif que cela. Je n'ai jamais compris cette distinction que l'on fait entre les musiciens rock et moi. J'ai la même culture, le même langage, seule l'instrumentation diffère. Pour moi, un clavecin peut être aussi chaotique et impressionnant qu'une guitare électrique.
– La Bretagne, c'est aussi le lieu de vos premières années. Est-ce cela qui rejaillit dans votre musique, que l'on associe volontiers à l'univers de l'enfance?
– De manière inconsciente, peut-être. Je n'ai pas le sentiment de subir l'influence d'un quelconque folklore breton, par exemple. Et si j'utilise des pianos-jouets, ça n'a rien à voir avec l'enfance. J'ai toujours été attiré par les instruments de percussion, le vibraphone, par exemple. Mais au début, je n'avais pas les moyens de m'en acheter un. Ce n'est pas pour faire original que je me sers d'instruments insolites, mais simplement parce que j'aime aller vite, enregistrer les idées pendant qu'elles surviennent, et à ce moment-là, une machine à écrire, une guitare ou un piano-jouet pourront très bien faire l'affaire.
– Sur ce disque, vous tenez à nouveau la plupart des instruments. Est-ce un désir d'autonomie qui vous a poussé à apprendre à jouer de tout?
– Il y a de cela. Je n'ai jamais attendu d'avoir d'autres musiciens pour faire des choses. J'ai travaillé ces dernières années avec des orchestres à cordes, mais je me suis rendu compte qu'avec une telle masse de musiciens, on subit une inertie terrible. Pour ce disque, j'ai eu la chance de pouvoir enregistrer des cuivres et un quatuor à cordes en studio à Paris, mais j'aurais aussi bien pu m'en passer. Cela me met à l'abri de toute pression économique, et me donne une grande liberté vis-à-vis de ma maison de disques.
– Vous avez également l'habitude d'inviter à chaque disque de nouveaux chanteurs. Comment les choisissez-vous?
– Tout se fait au gré des rencontres, ou de mes envies. Avec Miossec et Dominique A, nous nous sentons assez proches, humainement parlant. Dans le cas de Liz Fraser, cela fait très longtemps que je rêvais de travailler avec elle. Quant à Jane Birkin, c'est elle qui m'a contacté pour participer à un DVD, et j'ai saisi l'occasion pour lui demander de chanter pour moi.
– Le titre qu'elle interprète, «Plus d'hiver», est sans doute le plus engagé de votre répertoire. Comment vous est venue cette idée de l'hiver que l'on supprime, parce qu'il n'est plus rentable?
– Je n'arriverais pas à faire une chanson engagée au premier degré, le poing levé. Ce serait quelque chose de trop viscéral, de trop impudique pour moi. Mais j'avais à cœur de traduire cette forme d'inertie, de mollesse que l'on ressent dans tous les domaines en France, en ce moment. J'ai imaginé cette mesure ultra-démagogique, avec laquelle tout le monde est d'accord, pour exprimer cette désinvolture qui dépasse le cadre de la vie politique.
– Miossec et Dominique A, qui chantent avec vous sur un titre, ont partagé à l'occasion vos engagements, notamment lors des présidentielles de 2002. Pensez-vous qu'un artiste se doive de militer?
– Les convictions politiques, cela reste quelque chose d'individuel, de très sanguin, pour moi, et c'est la première fois que j'en fais part dans un disque. Ce n'est même pas une question de parti, même si je vois bien que parmi mes amis, aucun n'est de droite. Je suis peut-être un peu con-con là dessus, mais pour moi, engagement politique et droite ne vont pas ensemble. Pour peu que l'on s'intéresse à la société, au social, on ne peut pas être de droite. Quand on est de droite, c'est qu'on ne pense qu'à sa pomme.
«Les Retrouvailles» (Virgin/EMI)