Si l'œuvre littéraire et picturale de Marguerite Burnat-Provins est restée méconnue, ou connue d'une minorité d'amateurs passionnés, c'est en partie parce que cette artiste «a constamment privilégié la vie au détriment de son art», comme l'explique Catherine Dubuis, présidente de l'Association des amis de Marguerite Burnat-Provins. Il est vrai que la vie, mouvementée et bien remplie, de cette belle femme lui a, aussi, tenu lieu de création. Mais il faudrait plutôt dire qu'elle a su si bien inclure l'art dans la vie, et cherché à l'inclure dans la vie provinciale de Vevey, par exemple, au moment où elle est venue y habiter, que ses œuvres, aussi belles que leur créatrice si l'on ose le formuler ainsi, ont pâti de cette activité somme toute annexe.
Même dans les figurations hallucinées de l'œuvre tardive, dont on ne saurait mettre en doute le caractère d'urgence ni l'irréductible étrangeté, la facture reste lisse, les teintes pâles, les contours contraignants. Il semblerait que Marguerite Burnat-Provins peine, même sous la dictée de son inconscient, à percer une sorte de voile, un code formel qui la rattache à l'Art nouveau et au symbolisme de sa jeunesse. Ce registre de lignes tout en sinuosité et de motifs qui empruntent aux mondes humain, animal et végétal, ce registre qui ne varie guère sert de fil rouge reliant les expositions de Gingins (l'œuvre picturale et décorative réalisée en Suisse, soit avant 1907) et de Lausanne (les aquarelles médiumniques tirées de la série Ma Ville, dont beaucoup sont conservées à la Collection de l'Art Brut, grâce à l'intérêt que leur a porté Dubuffet).
Les deux manifestations contribuent avec conviction à mettre en lumière la figure de Marguerite Burnat-Provins, Française devenue Suissesse par ses deux mariages, mais qui ne vécut en Suisse qu'une période assez brève (de 1896 à 1907) par rapport à la longueur de sa vie. Née en 1872 à Arras, montée à Paris pour y apprendre le métier de peindre à l'Académie Julian, Marguerite Provins y rencontre Adolphe Burnat, étudiant en architecture. Elle le suit à Vevey, séjourne les étés en Valais auprès du peintre Ernest Biéler, écrit beaucoup. Entre 1903 et 1907, elle publie sept ouvrages chez Säuberlin & Pfeiffer à Vevey, des Petits Tableaux valaisans enrichis de ses propres gravures sur bois au Livre pour toi, cent poèmes destinés à son nouvel amour et bientôt nouveau mari, l'ingénieur sédunois Paul de Kalbermatten. Marguerite quitte la Suisse avec Paul et là s'arrête, du moins pour les visiteurs de la Fondation Neumann, sa production de facture relativement classique et de type Art nouveau.
L'autoportrait dit Femme à la robe verte ou le plus intrigant Autoportrait, le doigt sur la bouche, où le regard de l'artiste semble nous jauger, ou encore le dessin montrant un Jeune Garçon devant une fenêtre, feraient partie des œuvres les plus conventionnelles, n'était justement cette aura de mystère qui les nimbe. Jeune fille de Savièse réunit le goût pour le portrait quelque peu idéalisé et le sens décoratif, qui s'exprime dans la stylisation des motifs végétaux, ici les liserons, ailleurs les grappes de sureau, les lanternes des physalis, les complications des tiges de courge. Membre de l'Ecole de Savièse, Marguerite Burnat-Provins a également milité pour la préservation du paysage et du patrimoine, contribuant à la fondation du Heimatschutz.
Retournée en France, et dans divers pays où elle séjourne souvent aux côtés de son époux, en Egypte et au Maroc notamment, Marguerite Burnat-Provins se sent appelée, dès la déclaration de la Première Guerre mondiale, par des créatures dont elle retranscrit les apparences et les dires. Ce processus renouvelé de création, qui se prolongera jusqu'à la fin de sa vie, donnera lieu à 3000 aquarelles, dont un choix est présenté à la Collection de l'Art Brut. Allégoriques, oniriques et poétiques, ces compositions accordent une importance essentielle aux yeux, regard délavé de certains personnages, ou clos, chez d'autres, yeux exorbités, en forme d'oreilles, de Frilute le Peureux ou encore les yeux sur tige réunis dans le Bouquet de la vie.
Collection de l'art brut, av. des Bergières 11, Lausanne, tél. 021/315 25 70. Ma-di 11h-18h (en juillet et en août aussi le lundi).
Fondation Neumann, Gingins, tél. 022/369 36 53). Ma-ve 14h-17h, sa-di 10h30-17h. Jusqu'au 14 septembre.