LIVRES
L’historien américain Timothy Tackett et la Française Annie Jourdan se penchent sur 1793, l’année de la guillotine, des exécutions de masse et du droit à l’instruction pour tous

La Révolution française n’est pas seulement, du moins outre-Jura, une page des livres d’histoire. Elle reste un sujet politique brûlant. La droite et l’extrême droite, ainsi, bataillent dur pour obtenir une reconnaissance d’un génocide vendéen. Le dernier projet de loi en ce sens, émanant de deux élues du FN, a été déposé au début février.
La Terreur, qui a suscité entre mars 1793 et juillet 1794 quelque 40 000 morts entre décapitations, exécutions sommaires et décès en prison, est depuis le début au cœur de ce débat. Faut-il y voir une riposte somme toute compréhensible des autorités révolutionnaires face aux menées de la réaction et aux désordres populaires? Une dérive mortifère entamée dès l’assaut des Parisiens au palais des Tuileries le 10 août 1792? Voire le modèle totalitaire qui préfigure les régimes staliniste et nazi? Ces drames étaient-ils d’ailleurs nécessaires pour faire émerger le modèle politique démocratique et égalitaire dont nous nous réclamons aujourd’hui? Aucune de ces questions n’est neutre, et les réponses éclairent parfois plus sur les a priori idéologiques de leurs auteurs que sur les événements en discussion.
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Peut-on s’en émanciper? Deux livres récents donnent des réponses nuancées. Le premier, de la Française Annie Jourdan, reste malgré une étude fouillée, dans le ton du débat national. La violence, telle est sa thèse, n’est pas une spécialité, en France des révolutionnaires et, parmi les révolutions contemporaines, de la France. Elle a constitué une réponse dramatique mais compréhensible vu les faits et les émotions, à des événements dramatiques. On la retrouve d’ailleurs, dans des proportions comparables, voire supérieures lors de la première révolution anglaise, de la guerre d’indépendance américaine ou des soulèvements intervenus ailleurs en Europe – et notamment en Suisse – après 1789.
Pacifisme et naïveté
Le meilleur plaidoyer est toutefois celui de l’Américain Timothy Tackett, peut-être justement parce qu’il n’essaie pas d’en faire un. Inscrit dans la suite de ses recherches antérieures, son Anatomie de la terreur retrace efficacement le chemin de la violence dans un projet révolutionnaire par ailleurs pacifique, voire parfois naïf dans sa foi dans les capacités de la raison à modifier seule les pratiques politiques.
Dans son essai, l’historien pointe ainsi des éléments clé. Les habitudes violentes, tant en matière de désordres sociaux que de répression, contractées dès l’Ancien Régime. L’enthousiasme suscité par le renversement de structures oppressives qu’on croyait inamovibles, et, proportionnelle aux espoirs soulevés, la crainte d’une revanche des puissants ainsi dépossédés, crainte alimentée dès le début par les ambiguïtés, pour dire le moins, du Roi. La hantise des complots, imaginaires ou parfois bien réels, nourrie par les promesses de vengeance exprimées sans retenue dans les feuilles royalistes.
Prisons remplies
A cela, il faut ajouter la menace récurrente des crises de subsistance et la guerre extérieure, déclarée en avril 1792, qui commence mal. Tandis que La Fayette change de camp à la fin de l’été et que montent les craintes d’invasion, les prisons se remplissent de nobles et des prêtres réfractaires, qui y jouissent parfois d’une notable liberté de mouvement. Une nouvelle peur s’ajoute aux autres: celle de voir les détenus, entre brigands et ci-devant, unir leur force pour égorger les patriotes. Elle conduira aux massacres de septembre, plus de mille détenus assassinés.
Entre-temps, un premier Tribunal révolutionnaire était né en août pour tenter, par des procédures sommaires, d’apaiser les angoisses populaires. Pas entièrement en vain: il servira de modèle aux tribunaux de la Terreur, dont l’un des buts sera de ne pas trop engorger les prisons…
Prévenir la violence du peuple
L’agitation et la violence populaire font partie des phénomènes que la mise en place d’un Comité de salut public et d’un Comité de sûreté générale au printemps 1793 vise à mieux contrôler. Mais un autre phénomène est à l’œuvre depuis déjà plusieurs mois au sein de la classe politique elle-même. La détestation et la peur montent entre des acteurs naguère alliés, dont les positions sont parfois étonnamment proches. La phobie des complots, entretenue par les manœuvres de certains élus, explique en partie seulement ce phénomène. En sous-main semble courir l’idée d’une inévitabilité de la violence, que Danton exprime le 10 mars en réclamant la ré-instauration du Tribunal révolutionnaire: «Soyons terribles pour éviter au peuple de l’être». Un an plus tard, ce même tribunal le condamnera à mort.
Dangereux cocktail
Tandis que tombent les têtes, la Convention abolit l’esclavage, confère de nouveaux droits aux femmes, légalise le divorce, pose le principe d’une instruction et d’une assistance publiques. C’est, en quelque sorte, l’autre face de la Terreur: l’espoir suscité par l’émergence d’une société plus juste et plus fraternelle, d’autant plus vif qu’il est menacé. Un des témoins de Timothy Tackett, Rosalie Jullien, femme d’un membre de la Convention, décrit bien ce dangereux cocktail: «Depuis quatre ans, je suis devenue méchante par bonté, barbare par humanité, et si passionnée pour le bien public que tous ceux qui s’y opposent sont mes ennemis et des monstres à mes yeux.»
Aucun de ces ingrédients, telle est la conclusion de Timothy Tackett, n’explique à lui seul la Terreur. C’est leur interaction avec des événements qu’ils n’ont que partiellement aidés à provoquer qui crée l’engrenage fatal. Mais dans des circonstances révolutionnaires, ce dernier a de fortes chances de se mettre en place.
Essai
Annie Jourdan
Nouvelle histoire de la Révolution
Flammarion, 658 p.
Essai
Timothy Tackett
Anatomie de la terreur
Le processus révolutionnaire 1788-1793
Traduction de l’anglais d Serge Chassagne
Seuil, 456 p.