Impossible de passer à côté des NFT. Les non-fungible token sont partout, achetés à prix d’or par certaines stars ou encore élus mot de l’année 2021 par le dictionnaire Collins. Possible par contre d’être largué sur leur utilité, voire sur ce qu’est fondamentalement un «jeton non fongible» dans sa traduction française. C’est justement cela que veut pallier le Bureau culturel genevois. Il vient ainsi de terminer une série d’initiations sur ces nouvelles technologies. Mot d’ordre: vulgarisation, théorie et pratique pour jeter aficionados des NFT ou vrais geeks en mal de nouvelles connaissances dans le grand bain des blockchains, smart contracts, cryptomonnaies et consorts. Ces initiations gratuites et tous niveaux sont dispensées par Cyril Dieumegard, formateur dans le domaine des nouvelles technologies. Pour les suivre, il suffit de se brancher en ligne. Nous y avons plongé tête la première.

Boursicoteurs, artistes ou geeks

Entrée en matière en douceur. Vite, une explication simplifiée du terme «fongible»: «Une pièce de 5 francs peut être troquée contre une autre. C’est un échange à somme nulle. Au contraire, une peinture n’aura jamais la même valeur qu’une copie, aussi ressemblante soit-elle. Un NFT, c’est la même chose.» Derrière l’apparente trivialité de ces fameux objets intangibles se terrent donc une multitude d’éléments qui font de ces jetons non fongibles des êtres numériques uniques. Raté le fameux coup de la capture d’écran pour subtiliser une œuvre à plusieurs millions. Ce serait comme tenter de revendre une vulgaire photocopie de Mona Lisa en la faisant passer pour l’originale.

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Les choses se corsent progressivement. Pour assurer la singularité d’un NFT, il doit être associé à un certificat numérique unique, stocké sur la blockchain. Quid de cette «chaîne de blocs»? Cyril Dieumegard tente une analogie imagée: «C’est comme un livre de comptes qui garantit la sécurité et la validité d’une propriété où on écrirait sur chacune des pages les différentes transactions: «Paul a reçu un Ethereum de Jack», «Kevin a envoyé un NFT à Sandra», etc. Toutes les pages sont reliées entre elles, comme pour former une grande histoire.»

La suite: une exploration plus en profondeur de ce monde d’œuvres numériques, comment les créer, les acheter et où le faire. Sur le chat, les participants connectés égrènent leurs questions. Incollable, Cyril Dieumegard comble les lacunes de ce petit groupe composé d’une vingtaine de personnes. Mais qui sont ces amateurs de NFT? De simples boursicoteurs désirant spéculer sur un marché en pleine explosion, des geeks curieux ou des artistes percevant une véritable utilité derrière ces œuvres numériques? Plutôt la dernière catégorie. Et c’est justement à ces personnes que notre formateur s’adresse. Car si le prix de vente de certains NFT a récemment défrayé la chronique, pour Cyril Dieumegard, il y a bien plus à dire à ce sujet que de simplement énoncer des sommes astronomiques.

«Facebook est mort»

Pour le responsable de cette initiation, nous sommes à la croisée des chemins, comme nous l’étions au milieu des années 1990 à l’arrivée du web. Mieux vaut donc selon lui ne pas se placer du côté des sceptiques, de la même façon que ceux qui affirmaient que les trois W que nous connaissons désormais si bien n’auraient pas d’avenir: «Aujourd’hui, nous sommes aux prémices d’une énorme vague. Les NFT sont la plus grande révolution depuis l’arrivée du web. Cette technologie peut être utilisée dans tellement de domaines: prouver son identité, voter, vendre ses œuvres numériques, le titre de propriété de sa maison, etc. Tant d’objets peuvent être «NFTisés», permettant de sécuriser de nombreuses transactions tout en évitant de passer par des intermédiaires.»

«Facebook est mort», selon Cyril Dieumegard, ou en passe de l’être; viendra alors l’émergence d’un web3 (une version décentralisée du web, contrairement à notre actuel web2, social et participatif) basé sur la technologie blockchain. Il voit cet avènement comme quelque chose de positif, s’imposant du bas vers le haut: «C’est un mouvement qui a la possibilité de se placer dans le sillage libertarien de ce qu’était le web à ses débuts. Les NFT sont l’occasion de reprendre possession de ce qui nous appartient – monnaie, data, œuvres virtuelles, etc. Ces jetons non fongibles sont la propriété de leurs acquéreurs, pas celle d’une banque ou d’une plateforme.» Il n’hésite cependant pas à nuancer son propos. Les mastodontes de la tech lorgnent déjà sur cette «révolution» et pourraient bien la faire tourner à leur avantage. N’oublions pas que le mouvement numérique libertarien des débuts du web a permis l’émergence des GAFAM… Prudence est donc de mise avant de crier victoire de David sur Goliath.

L’art numérique enfin rémunéré

Pour les participants à l’initiation, cette nouvelle technologie pourrait être d’une vraie utilité. C’est enfin le moyen pour les artistes du numérique d’être rémunérés correctement, se réjouit Charles Hieronymi, directeur créatif et participant à l’initiation: «Les NFT sont un standard qui prouve qu’une œuvre est unique. Cela autorise ensuite ceux qui ont créé ces objets numériques à percevoir jusqu’à 10% de leur prix à chaque fois qu’ils sont revendus sur les plateformes de vente.»

Il s’est intéressé à ces technologies pour son travail, a notamment transformé certaines de ses photographies en NFT et conçu en partenariat avec Baptiste Lefebvre, responsable du Bureau culturel genevois, une exposition dans le métavers Second Life en 2020.

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C’est d’ailleurs à l’initiative de ce dernier que le Bureau culturel a décidé de mettre sur pied cette série de «Mardis informatifs en ligne». Il a toujours gardé un œil attentif sur les nouvelles technologies, mais insiste aussi sur une certaine prudence: «Il ne faut pas croire tout ce qui est raconté sur les NFT. Il y a un aspect préventif qu’il ne faut pas négliger si l’on ne veut pas y laisser des plumes.»

Grandeur et décadence des NFT

Certains sont néanmoins plus sceptiques face à la vague des NFT. Jean-Marie Reynier, artiste, curateur, éditeur et collaborateur de la Galerie Aarlo u Viggo à Buchillon, est très critique: «Il y a une sorte de ruée vers l’or qui a produit une quantité incroyable de «peintres pompiers» du numérique. De la camelote qui ne sert à rien, qui est moche et surtout invendable. Aussi, cette technologie reste extrêmement polluante et énergivore.»

Il tempère et assume aussi de nombreux atouts pour le marché de l’art: «La valeur contractuelle est pratiquement infalsifiable dans la blockchain, ce qui signifie que des revendications comme le «droit de suite», qui n’existe pas en Suisse, peuvent être mises en œuvre grâce à cette technologie. Cela pourrait aussi mettre à mal énormément d’intermédiaires douteux dans ce marché.»

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Enfin, il défend aussi des œuvres numériques que certains détracteurs considèrent comme pauvres, artistiquement parlant. Pour lui, une tête de punk pixélisée ou des lignes de codes ont leur poésie propre et il admire leur simplicité et leur efficacité. Mais pour «faire du beau», il faut avant tout penser son œuvre pour ces technologies, estime-t-il: «Toute technique ou forme artistique n’ayant pas à sa racine une démarche numérique n’a pas sa place dans ce langage visuel. Ce n’est pas en devenant un NFT que votre mauvaise photo de chat ou votre magnifique création visuelle deviendront pour autant des chefs-d’œuvre de l’art numérique.»