Comment le «Richard III» choc de Thomas Ostermeier bouleverse Avignon
Spectacle
Lars Eidinger et la troupe de la Schaubühne de Berlin offrent un voyage en enfer fascinant, qui est d’ores et déjà l’un des événements de cette soixante-neuvième édition du Festival d’Avignon
Avec Shakespeare, un voyage en enfer sidérant
Une vague de rock à renverser toutes les croix d’un cimetière marin. Là-dessus, un déluge de confettis, comme un soir de fête au Festival de Cannes. Là-dessus encore, une panthère aux pattes tordues, au dos cassé, agile pourtant, séductrice malgré tout. C’est Lars Eidinger sous la bosse de Richard le mal formé, il se faufile entre les seigneurs de la cour, fracs et plastrons dans le formidable spectacle de Thomas Ostermeier. Ce Richard III commence comme un assaut de fin du monde, avec à main droite, en bord de scène, un batteur qui déclenche des tempêtes métalliques. En ce préambule, une jet-set exsude la décadence au pied d’un mur ocre, flanqué sur tout son long d’une galerie.
Qu’est-ce que ce spectacle? Une machine à séduire – par la beauté de ses tableaux – à envoûter, à rendre presque désirables les manœuvres les plus abjectes. Car tel est le charme puissant de Lars Eidinger. Il est non seulement Richard, mais l’acteur jouant de sa panoplie et avouant ses subterfuges. Double jeu, un pied dans la fiction, un autre dans la salle, histoire d’éprouver doublement le pouvoir, celui du personnage, celui de l’interprète. Cela pourrait être insupportable de cabotinage; c’est magnifique d’attention, à l’humeur du public, à la nécessité de la partition.
C’est que Richard est une figure de l’acteur-roi, comme Hamlet qui contrefait la folie. Sauf que Richard est plus doué et plus tordu. Il est dangereux parce qu’il a la science des enfants: il croit à chacune de ses fables; il s’oublie en elles et brise ainsi les résistances. Lars Eidinger est joueur comme c’est écrit, mais plus encore. Jusqu’à l’horreur, ce moment où il ordonne l’exécution du jeune héritier de la couronne et de son cousin, deux marionnettes ici: on les jette au pied du héros qui se hissera bientôt sur la table du banquet, puis bâfrera une épaisse crème blanche. Voyez alors, il se saisit de l’assiette, plonge sa figure dedans. Il en ressort blanc comme plâtre, sans figure désormais.
Mais il parle à présent, filmé par ses soins; vous êtes saisi par son visage de zombie qui se déploie en grand sur le mur. Ce démon a de la ressource pourtant. Acteur-roi jusqu’au bout, il impose sa chute. Il se saisit de la corde qui tombe des cintres, attache d’un geste rapide sa cheville. Et le voilà suspendu, comme une pièce de boucherie, la tête en bas. Dans votre fauteuil, vous êtes ravi.
«Richard III», Festival d’Avignon, jusqu’au 18 juillet; rens. www.festival-avignon.com