Richard Kelly, l’homme qui met le public en boîte
science-fiction
Auteur de «Donnie Darko» et «Southland Tales», deux bizarreries, l’auteur récidive avec «The Box»
Peu de cinéastes déchirent les opinions de manière aussi tranchée que l’Américain Richard Kelly, 34 ans. Deux films ont suffi pour provoquer des échauffourées entre critiques: Donnie Darko en 2001 (il avait donc 25 ans) et Southland Tales , sélectionné en compétition à Cannes en 2006. Le premier racontait l’histoire d’un ado à qui un lapin bleu prédit la fin du monde: c’est devenu un film culte. Le second, délire anticipatoire, imaginait comment un acteur de films d’action et une star du porno tentaient d’éviter l’apocalypse dans un monde orwellien: après les ricanements de la Croisette, il n’eut droit qu’à une sortie confidentielle, ne rapporta que 400 000 dollars pour une mise de 17 millions, mais sa récente sortie en DVD et Blu-ray est chérie comme un plaisir coupable par une foule toujours plus grande d’aficionados.
Génie ou usurpateur?
Question subséquente à ces deux films boursouflés (y compris de talent): Richard Kelly est-il un petit malin appliqué qui règle son pas sur celui de Stanley Kubrick? Ou est-il un auteur au sens le plus noble du terme, comme peut tout autant le laisser supposer sa maestria stylistique que ses obsessions thématiques et son regard philosophique sur la nature humaine? Plutôt adeptes de la deuxième hypothèse, nous attendions son troisième film, The Box, comme une preuve irréfutable.
Las. Cette adaptation d’une nouvelle de Richard Matheson renvoie une nouvelle fois les pro et les anti dos-à-dos. Petit malin, c’est certain, du moins dans le système hollywoodien: comment, autrement, aurait-il pu, après le fiasco historique de Southland Tales, bénéficier d’un budget deux fois supérieur, autrement dit de 30 millions de dollars, d’un casting de stars (Cameron Diaz, Frank Langella) et de décors aussi stupéfiants? Et pourtant, dans un même élan, il est rigoureusement impossible de le soupçonner d’avoir cédé à la moindre pression. The Box, qui est pourtant son premier film de studio, c’est d’abord une intrigue de base qui se résume facilement dans une bande-annonce (quand le marketing sourit, les financiers sont rassurés). Il s’agit d’un dilemme dans la lignée des épisodes de Twilight Zone auxquels Matheson participa. Un couple (Cameron Diaz et James Mardsen) reçoit, d’un étrange visiteur (Langella), une mystérieuse boîte noire surmontée d’un gros bouton rouge. Si, dans les vingt-quatre heures, ils décident d’appuyer sur le bouton, ils recevront un million de dollars, mais un ou une anonyme, quelque part, mourra.
Maestria et digressions
The Box, c’est surtout ce que Richard Kelly fait de cette intrigue. Soit un nouveau déploiement de sa maestria technique (le film paraît dix fois plus riche qu’il n’a coûté) et surtout l’occasion de digressions entomologistes sur l’être humain, ses faiblesses, voire sa petitesse devant des événements qui le dépassent. Apôtre d’un fatalisme, du moins d’un ordre supérieur qui agacera plus d’un spectateur, Richard Kelly refait Brazil sans l’humour de Terry Gilliam, il transpose 1984 de George Orwell dans les années 1970 et dans les locaux de la NASA, au moment où les scientifiques rêvent de conquérir Mars. Charabia vain? Dans une large (et longue) mesure. N’empêche: dans le tracé plat du cinéma fantastique tel qu’il est conçu par Hollywood aujourd’hui, The Box apparaît comme une excroissance inespérée, un corps étranger d’une originalité si débridée qu’elle excuse (presque) tous les faux pas. Mieux vaut en effet un film qui risque qu’un film qui assure. Même s’il reste toujours impossible d’affirmer si ce passionnant Richard Kelly joue les casse-cou par goût ou par ruse.
The Box, de Richard Kelly (USA 2009), avec Cameron Diaz, James Marsden, Frank Langella, James Rebhorn, Holmes Osborne, Sam Oz Stone, Gillian Jacobs. 1h55.