Oliver Reed était mort depuis plusieurs semaines lorsqu’il a tourné ses dernières scènes de Gladiator, et Steve McQueen depuis des décennies lorsqu’il a fait de la publicité pour l’industrie automobile. Après tout, à quoi sert le comédien de chair si l’on dispose de son image et d’un logiciel d’animation? L’argument premier du Congrès ne relève déjà presque plus de la science-fiction.

La belle Robin Wright (Robin Wright dans son propre rôle), 45 ans, est une comédienne sur le déclin. Son agent Al (Harvey Keitel) la somme d’accepter le contrat de la dernière chance que lui propose Miramount. Il s’agit d’un pacte faustien: elle s’engage à cesser d’exercer son métier et cède son image à l’industrie du divertissement. Celle-ci peut en disposer à sa guise pour recréer Bouton d’or de Princess Bride, ou Jenny de Forrest Gump, ou encore initier une série dans laquelle Robin Wright incarne une justicière futuriste au lasso de feu…

A travers Miramount Pictures, contraction de Miramar et de Paramount, Le Congrès raille le monde impitoyable du cinéma, avec ses stars dépressives, ses producteurs margoulins, la «légitimation des scripts stupides», l’incurie des décideurs. Il dénonce les dérives du système hollywoodien et la dictature du paraître. Il s’inquiète de l’avenir du cinéma dans lequel les effets spéciaux remplacent la mise en scène. Il propose quelques réflexions ontologiques: est-il plus humiliant pour une actrice d’être réduite à une «foutue puce» dans le disque dur de la compagnie ou de subir des liftings sans fin?

La première partie du Congrès, sur laquelle passent les ombres de Sunset Boulevard et le souvenir de Dorian Gray, est formidable. Robin Wright vit avec ses enfants en bout de tarmac, dans un hangar à avions. Son fils lance des cerfs-volants et voit des choses que les autres ne remarquent pas; son ouïe et sa vue déclinent, il s’isole dans un monde décalé, que domine la figure des frères Wright, pionniers de l’aviation, dont le patronyme suggère une mise en abyme en trompe-l’œil.

La scène au cours de laquelle Robin abdique son âme est bouleversante. Captive d’une sphère de capteurs qui la scanne sous toutes les coutures, tétanisée par le trac, elle n’arrive pas à livrer sa dernière performance. Alors son agent lui parle et se confesse. Il raconte ses débuts avec le garçon que la nature avait doté d’une petite queue de boxer, et son rôle auprès de la comédienne, tel un démon se nourrissant de la peur. Robin Wright passe du rire aux larmes. Son chant du cygne touche au sublime.

Malheureusement, Le Congrès comporte une seconde partie. Vingt ans après son scannage, Robin Wright, 63 ans, se présente à un poste frontière. Le douanier lui donne une ampoule à sniffer. Elle se transforme en vieille lady de gouache, quelque Cendrillon chenue, et entre dans une réalité alternative, plus chamarrée que le Pepperland du Yellow Submarine.

Sur les flots mandarine des mers qu’elle traverse passent Squiddy la pieuvre, Monstro la baleine. Elle arrive à Abrahama, une cité futuriste, «Disneyland dans vingt ans», selon le réalisateur, où se déroule un congrès. Dans cette version arty du Toonville de Roger Rabbit se presse une foule de personnages hétéroclites, dont le Chapelier fou d’Alice, Ganesh, David Bowie, Picasso, Ben Laden, Tom Cruise, Grace Jones…

Les niveaux de réalité se télescopent. La vieille Robin chante «If It Be My Will» de Leonard Cohen. Des rebelles prennent le congrès d’assaut… Félix le chat aurait bien du mal à retrouver ses petits dans ce fourre-tout esthétique et conceptuel renvoyant aux simulacres de Philip K. Dick, à l’infosphère déréglée du Summer Wars de Mamoru Hosoda, aux farandoles oniriques du Paprika de Satoshi Kon…

Valse avec Bachir nous a appris que le dessin animé, loin d’être réservé aux gambades de Mickey & Cie, est un langage parfaitement légitimé à exprimer des réalités douloureuses. Ce documentaire dessiné a valu une gloire mondiale à Ari Folman. Est-ce pour cette raison que le cinéaste israélien s’est senti appelé à laisser tomber les comédiens de chair au profit de l’écoline? Et pourquoi cette esthétique désuète renvoyant aux studios Fleischer?

Ari Folman a tiré son inspiration du Congrès de futurologie (1971), un roman satirique de Stanislas Lem, l’auteur de Solaris, évoquant une dictature chimique. Cette dystopie hallucinatoire fait piètre figure par rapport à la transmutation sacrificielle de Robin Wright.

Le film commence par une larme sur le visage de la comédienne. Elle est infiniment plus éloquente que les Looney Tunes lugubres de la seconde moitié.

VV Le Congrès (The Congress), d’Ari Folman (Etats-Unis, Luxem­bourg, Israël, Pologne, 2013), avec Robin Wright, Harvey Keitel, Paul Giamatti, Danny Huston, 2h02.

La première partie du «Congrès», sur laquelle passent les ombres de «Sunset Boulevard», est formidable