Quelques écrivains suisses alémaniques s'engagent directement dans la politique. Hugo Loetscher écrit sur la barrière de rösti, sur le problème des langues dans notre pays (je lui ai fait quelques emprunts en écrivant le discours «Sauvons notre diversité culturelle!», prononcé devant Helvetia Latina [et publié dans LT du 19 décembre 2000, ndlr.]. D'autres écrivains sont membres d'un parti: Muschg a été candidat socialiste au Conseil des Etats à Zurich, Bichsel est aussi membre du PS, Diggelmann était député pour les POCH. Dans leur activité politique, ils sont pour moi des politiciens comme les autres. Autrement dit, j'argumente avec eux comme je discute par exemple avec un syndicaliste, et je me laisse convaincre ou influencer comme par toute autre discussion politique.
Mais, pour moi, le rôle politique véritable d'un écrivain ne réside pas dans ce travail politique au sens étroit. De même que je définis la culture d'après sa capacité à me bousculer par des émotions, des associations, à changer mon opinion ou mes actes, je vois aussi la dimension politique primordiale du travail de l'écrivain dans la stimulation de ma conscience politique, et non dans l'argumentation politique directe, par exemple par un manifeste. Cette stimulation politique, je l'ai trouvée notamment dans la première partie de La Panne de Dürrenmatt, où l'auteur philosophe sur les grandes catastrophes et sur l'être humain qui croit pouvoir tout gérer, même la nature. Dans sa pièce Das Lied der Heimat, Thomas Hürlimann nous fait réfléchir à l'interchangeabilité des liens sociaux.
Martin Suter (Die dunkle Seite des Mondes) ou Urs Widmer (Top Dogs, Der Geliebte der Mutter) dressent le tableau littéraire du monde du travail qui est le nôtre, ou des mécanismes d'une société dont les classes n'ont disparu qu'en apparence. En revanche, Mix Weiss (Kupferblues), Martha Farner (Alles und jedes hatte seinen Wert) ou Anita Siegfried (Die Ufer des Tages) se penchent sur le passé immédiat de la Suisse.
Si je répète sans cesse mon credo selon lequel la culture est une des infrastructures essentielles de la société, c'est parce que j'attends encore plus de cette stimulation artistique de l'homo politicus que du simple dialogue rationnel. Je crois bien sûr à ce dernier – et il faut le rechercher, particulièrement en ces temps où tout se décide avec les tripes et selon le vent. Mais l'être humain agit aussi selon son cœur. Et c'est l'art qui lui parle le mieux.