«Le plus grand groupe de rock'n'roll du monde»? Assurément. Surtout si l'on prend la dimension visuelle du groupe, sur la route depuis 1962, et de passage ce week-end à Dübendorf dans la banlieue de Zurich. Car si l'intensité des Rolling Stones est d'abord musicale, si leur personnalité unique est à jamais forgée par les accords de «Satisfaction» ou «Jumpin'Jack Flash», Mick Jagger & Co ont tôt compris que le rock est aussi une mythologie hypnotisante, qui s'offre au regard dans la presse, sur les pochettes de disques, en concert surtout.

Dès les débuts de l'aventure, le groupe britannique a joué la provocation visuelle: cheveux plus longs que les autres, allures faussement négligées, moue lippue et déhanchement de strip-teaser hystérique pour le chanteur, qui a reçu ses premiers cours de danse de Tina Turner.

Le Swinging London était alors aussi une affaire de stylistes, graphistes et de photographes. Immédiatement, les Stones se sont adressés aux meilleurs d'entre eux, comme David Bailey (le photographe star qui a inspiré le «Blow Up» d'Antonioni), lequel a signé les pochettes des disques fondateurs. Robert Frank, Cecil Beaton, Gered Mankowitz ou Jean-Luc Godard?ont un jour ou l'autre cadré en studio ou suivi en tournée le barnum stonien. Andy Warhol, entre autres collaborations mémorables, leur a conçu l'une des plus célèbres pochettes de l'histoire du rock, une vraie fermeture Eclair qui coulissait sur un jean moulant, promesse imminente de «Sticky Fingers» (doigts poisseux). Même constat sur la supériorité durable du logo officiel du groupe, conçu il y a trente-cinq ans par le dessinateur John Pasche, qui continue à tirer la langue au monde entier, en particulier à la concurrence (quelle concurrence d'ailleurs?), ou à ceux qui dépensent des sommes déraisonnables pour assister aux actuels concerts monstres du groupe.

Même le mauvais goût atroce des Rolling Stones dans les années 1980 ou 1990, ces pochettes ou décors de scène si kitsch qu'ils en devenaient comiques, a atteint des sommets inégalés. Et faut-il rappeler, à propos de concerts, que les dandys dégingandés ont été premiers dans les années 1970 à concevoir des dispositifs scénographiques surdimensionnés pour qu'un maximum de spectateurs puissent les voir, les scruter, les admirer, ou simplement les découvrir pour la première fois, un concert des Rolling Stones étant aujourd'hui une affaire multigénérationnelle.

Ce n'est pas la tournée 2005-2006 «A bigger bang» qui démentira cette fascination scopique, non seulement en raison des écrans ou appareillages monumentaux, mais aussi à cause du spectacle en lui-même qu'est le vieillissement des membres du groupe, Dorian Gray craquelé pour Mick Jagger, Ramsès II pour Keith Richards. Celui-ci triomphe aussi sur les écrans par la procuration de Johnny Depp-le pirate des Caraïbes, qui a voulu rendre hommage à son héros de toujours, archétype du rocker, emblème des excès en tout genre, survivant mystérieux de sa propre légende, effet spécial à lui tout seul.