Saragosse ou le triomphe du contenu
EXPOSITION
Sur le plan architectural, l'Expo internationale est d'une laideur exceptionnelle. Mais elle propose des installations captivantes.
Qu'importe le flacon... A l'Exposition internationale de Saragosse, ouverte depuis samedi, en Espagne, preuve est faite que les architectes ont perdu le contrôle esthétique de ces grandes manifestations. Et que les designers ont mûri. Contenant d'une laideur assez exceptionnelle, contenus passionnants: c'est le paradoxe de Saragosse.
Le visiteur découvre un site structuré en forme de «T» aplati, traversé d'est en ouest par des galeries abritant les pavillons nationaux, structures de béton évoquant une station balnéaire de l'ancienne Allemagne de l'Est. A une extrémité, le pavillon de l'Aragon, posé sur de massifs pilotis, que les organisateurs dépeignent comme «un grand panier». C'est dit. A l'ouest, le palais des congrès de l'Expo, volume en arrêtes taillé à l'équerre. Celui-ci est encadré par l'élégante tour de l'eau et, au sud, par le pont-pavillon conçu par Zaha Hadid.
Des écrins criards
Tous ces éléments sont destinés à survivre à l'Expo (LT du 16.06.08), ce qui explique leur hétérogénéité. Si l'on y ajoute les nombreux pavillons thématiques, souvent de plastique bariolé, on obtient un fatras criard. Dans une tribune publiée une semaine avant l'ouverture, le supplément culturel d'El Paìs allumait la mèche en fustigeant cette «architecture de centre commercial».
Censée être l'icône de l'Expo, l'intervention de Zaha Hadid se trouve ainsi neutralisée par son voisinage. Questionnée à ce propos par Le Temps, l'architecte anglaise d'origine irakienne explique: «je n'ai pas eu le contrôle du masterplan, et je n'ai pas de commentaire à faire sur le volume des autres constructions. C'est comme d'intervenir dans un environnement déjà dense». A propos des autres bâtisses de l'Expo, la lauréate du Prix Pritzker 2004 lâche qu'elle les juge «intéressantes». Les vedettes de l'architecture ont aussi leur langue de bois.
Dure leçon: les expos éphémères paraissent les mieux maîtrisées dans leur esthétique générale. Soumises à ce régime, Expo.02 et Aichi au Japon en 2005 affirmaient, elles, une personnalité.
Un thème tenu
Le visiteur oublie vite ce bricolage architectural en écartant les rideaux des pavillons. D'abord, contrairement à Aichi où les marques d'automobiles et d'électronique se payaient les plus grandes installations, Saragosse a circonscrit l'espace dévolu à ses sponsors. Et c'est sans doute l'Expo mondiale qui aura le mieux tenu son thème, l'eau et ses défis: expositions captivantes, profusion éditoriale - un ouvrage par pavillon thématique -, milliers de débats...
Bien sûr, les techniques scénographiques demeurent disparates. Certains prendront toujours une telle expo pour un comptoir de vente (Inde, Népal) ou en profiteront pour vanter les industries nationales (Suède). D'autres s'en tiennent à de classiques présentations par panneaux didactiques, parfois agréables (le Portugal racontant ses trois grands fleuves), parfois étouffe-bougre, comme la Slovaquie qui noie son visiteur dans des tableaux chiffrés. L'ONU joue la sobriété graphique avec 17 fortes affiches réalisées pour l'occasion. Les designers allemands, eux, brillent dans le genre ludique à grosse production: après un voyage en train fantôme au Japon, ils proposent une balade en Pédalo sur rail, au fil de l'eau potable.
Le règne du high-tech
Le délire technologique qu'ont connu ces manifestations populaires ces dernières années s'estompe. Le high-tech est désormais mis au service du propos. C'est le cas de la France, avec un pavillon multimédia élégant, ou de la Hollande, qui projette un film sur un écran incliné pour simuler les polders, ou encore de la Suisse, avec sa voile incurvée (lire ci-dessous). A ce stade de la visite, un concepteur du pavillon français, au goût scénographique exigeant, plaçait la proposition helvétique en N°1, ex aequo avec l'Autriche.
Un pavillon résume l'évolution des narrations pratiquées dans ces grand-messes mondiales: celui de la Corée. Ça commence mal, avec 300 écrans de la taille d'un téléphone portable, censés prouver l'excellence du pays en la matière. La visite continue avec un amusant film en 3D sur les souffrances d'un gentil monstre symbolisant l'eau. Puis on débouche dans une impressionnante salle jalonnée par 27 chaudrons classiques, en fonte, dans lesquels sont intégrés des écrans tactiles déclinant le concept d'eau en coréen. Belle fusion, soudain, du patrimoine et d'un langage moderne. Certaines interventions vont plus loin dans le conceptuel, le Mexique par exemple, qui multiplie images et musique durant un cheminement déroutant. Ou l'installation Splash, due à Olga Subirós et Todd Plamer, monumentale goutte d'eau éclatée, d'apparence de plomb.
Les répliques
Enfin, les galeries thématiques offrent une réplique parfois brutale, dans leur contenu comme dans l'expression, aux discours lénifiants des pavillons d'Etats. Malins, les organisateurs de l'Expo laissent ainsi leurs visiteurs confronter les propos. Le pavillon-pont de Zaha Hadid abrite un parcours coup de poing, à la syntaxe heurtée, sur les pénuries d'eau annoncées. Le Phare, seule audace architecturale avec ses bulbes de paille et d'argile conçu par Ricardo Higuera, héberge les ONG et leurs messages catégoriques. Et l'installation Oikos, machinerie de Roland Olbeter, un complice de la Fura Dels Baus, formule en souriant l'exigence d'un nouveau type d'habitat.
L'Expo de Saragosse prouve que le langage de masse de ces expos a acquis une maturité. Il restera à voir comment les concepteurs appliqueront cette nouvelle maîtrise à la manifestation de tous les superlatifs, l'Expo universelle de Shanghai, dans moins de deux ans.
Jusqu'au 14 septembre. Rens. http://www.expozaragoza2008.es