Scènes
A La Parfumerie, à Genève, «M'Pi et Jean-Louis» raconte le destin pas commun d'un couple de handicapés qui, portés par leur foi dans l'homme, ont illuminé leur ville de Picardie

Ce pourrait être un conte de Noël. Comment Marie-Pierre, quasi aveugle, mais musicienne et confiante dans la beauté du monde, rencontre Jean-Louis, quasi sourd, mais versé dans la philosophie et convaincu que la joie est partout. Et comment ces deux-là égaient Ham, une ville de Picardie, pendant des décennies en vivant un quotidien chaleureux, curieux et ouvert sur autrui. Ce pourrait être un conte de Noël, sauf que c’est une histoire vraie que raconte Charlotte Filou dans M’Pi et Jean-Louis, à voir ces jours à La Parfumerie.
Lire aussi: Amours virtuelles, plaisir réel
La metteuse en scène et comédienne relate même sa propre histoire, car ces deux poètes sont devenus ses amis et l’ont aidée, adolescente, à trouver sa voie. Entre film, récit et jeu en live, Virginie Barreteau et Hugues Sanchez brossent ces portraits bourrés d’humanité et la proposition, généreuse, fait du bien à l’âme.
Infirmité, quelle infirmité?
On se disait qu’on allait voir un spectacle sur la résilience. Une pièce qui montrait comment dépasser des handicaps majeurs pour survivre sans trop de heurts. Pas du tout. Une fois que Marie-Pierre et Jean-Louis ont raconté très simplement à la caméra de Charlotte Filou les soucis de santé qui ont bouleversé leur enfance et leur adolescence, leur vivacité et la somme des expériences accumulées envoient valser leur infirmité. Ces deux sont solides et radieux. Pas une plainte ne surgit durant les entretiens.
Leur particularité? Avoir été ordonnés bonne sœur et prêtre à la suite d’années d’études dans des établissements religieux où, remercient-ils, leur esprit a été bien nourri. M’Pi y a appris la musique, tandis que Jean-Louis y a dévoré les livres de philosophie. Tous deux partagent la même vision de la religion: prêter assistance aux plus défavorisés en ancrant leur foi dans le quotidien. Une vision chrétienne sociale qui correspond à l’époque: ils ont la vingtaine lors de Mai 68 et la révolution des mœurs parle à leur cœur militant.
Mitterrand coupe les budgets
Après avoir fait partie du groupe de prêtres progressistes Echanges et dialogue, Jean-Louis doute de la capacité de l’Eglise à évoluer. Sa rencontre avec M’Pi, sœur enjouée qui fait chanter la galerie, finit de le décider. Le couple quitte les ordres, se marie et continue à partager sa joie de vivre dans le civil. D’abord dans les maisons de vacances des CAF, les caisses d’allocations familiales, qui permettaient aux moins dotés de prendre l’air de la mer. Puis, dès 1981, une fois que le gouvernement Mitterrand a coupé ces budgets – ironie! –, les deux opèrent à Ham, en Picardie.
En tant que prof de musique et cheffe de la chorale, M’Pi connaît tous les enfants du quartier et le foyer est constamment assailli d’élèves qui étudient et cuisinent (le pack, c’est la condition!) ou de voisins qui viennent boire le café. Dans les images de Charlotte Filou diffusée sur trois écrans suspendus, la chaleur des lieux est palpable et on comprend qu’elle-même ait trouvé là un endroit pour apaiser le tumulte qui l’agitait. «M’Pi et Jean-Louis, c’est la famille sans l’hémorragie», constate joliment la narratrice.
Des héros de la vie
Le spectacle vaut beaucoup pour la qualité de ce couple dont, en scène, Virginie Barreteau narre le destin avec entrain. La partition musicale est un peu confuse et certains passages théâtraux – comme Mai 68 et les prêtres en déroute, la bonne sœur et le cierge ou la mort du père – sont presque de trop. M’Pi et Jean-Louis sont tellement vivants et accomplis et leurs propos sont tellement éclairés et bienfaisants que leur seule présence suffit. Tel est le risque quand on relate le parcours de héros de la vie!
M’Pi et Jean-Louis, La Parfumerie, Genève, jusqu’au 19 décembre.