Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la sexualité féminine se raconte au Loup
Scènes
La bien nommée compagnie Oh! Oui explore désir et plaisir féminins sur la scène genevoise. Courageux, mais trop didactique pour convaincre tout à fait

Etrange proposition. Un spectacle sur le désir – comment il surgit, comment il est assouvi –, qui ne cherche pas à susciter le désir des spectateurs, mais leur édification. Dans Tout le plaisir est pour moi, à voir au Théâtre du Loup jusqu’au 17 juin, quatre comédiennes de talent explorent la sexualité dans ses moindres replis, physiques et psychologiques et, sous la direction de Manon Krüttli, livrent un travail touchant et piquant.
Pourtant, dans ce flot de paroles qui privilégient le sens sur les sens, il manque une zone érogène, un suspens. A l’image des dizaines de barbes à papa roses qui recouvrent la scène du Loup – scénographie spectaculaire de Jonas Bühler –, la proposition sature à force d’empiler observations et questionnements. Il y a bien quelques envolées sensorielles, mais elles sont étouffées par la (bonne) volonté de tout dire, tout aborder, tout commenter.
Après l’amour, le sexe
La mort, le sexe. Alors qu’au Théâtre du Grütli, Anna Lemonaki visite le trépas dans une forme qui alterne cabaret barré et quête intime, le Théâtre du Loup offre son plateau à la belle thématique de la sexualité féminine. A l’œuvre, la compagnie Oh! Oui, qui avait épaté il y a quatre ans dans Femmes amoureuses, mise en scène pétillante et sensuelle d’un texte de Mélanie Chappuis par José Lillo.
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Désireuses de poursuivre sur cette lancée, Céline Bolomey, Caroline Cons, Rachel Gordy, Patricia Mollet-Mercier et Alexandra Tiedemann se sont interrogées sur leur sexualité. Le désir, le plaisir, les injonctions patriarcales, la part politique de cette sexualité longtemps niée ou encore l’influence des images «objetisantes» (pornographie, publicité) sur l’intimité. Autant de sujets passionnants que les comédiennes ont abordés en livrant leurs souvenirs et leurs réflexions à Julie Gilbert, qui les a mis en forme. Ainsi, à l’exception de deux monologues signés Anaïs Nin et Jana Cerna (sur la guitare live de Pierre-Alexandre Lampert, une magnifique invitation à s’ensauvager!), l’intégralité du texte provient de la vie (mouvementée) des actrices. Petite précision, cependant: chacune ne dit pas forcément ses mots en scène.
Un chalet pour signer l’orgasme
Précaution légitime pour préserver la pudeur de la troupe et, pourtant, par un diabolique phénomène d’identification, on garde à l’esprit que, quand elles jouissent, Alexandra Tiedemann voit un chalet dans une prairie et Patricia Mollet-Mercier du mobilier contemporain. On associe à Céline Bolomey la découverte récente de son clitoris, et l’attribution, longtemps, de la mention «temple sacré» à son vagin. Quant à Rachel Gordy, on retient que, lors de l’orgasme, sa voix devient plus grave et l’effet est «super beau».
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C’est un vrai plaisir de voyager avec les filles, entre filles, sur la crête de leurs expériences, et quand les enquêtrices s’aventurent sur des terrains plus crus, comme le conditionnement issu de la pornographie, les odeurs corporelles ou les fantasmes de petite fille à papa, on continue à se dire que tout est juste, tout est bien vu. Mais notre entrain se tarit.
Sus aux répétitions
Sans doute parce que beaucoup de motifs reviennent souvent. L’auto-observation, dans le miroir ou non. L’amour exploration quand le corps des deux partenaires devient un champ infini de possibles. Et le rapport à la jouissance – qui jouit, comment, avec qui, dans quel ordre, etc.? Le passage sur les costumes pensés par chacune en fonction de leurs obsessions anatomiques -et réalisés par Aline Courvoisier- est trop long et trop didactique. Le prologue, aussi, un coup d’épée absurde dans l’eau.
Le spectacle est courageux, vivant, attachant. Avec moins de répétitions et plus d’érotisme, il serait aussi troublant.
Tout le plaisir est pour moi, jusqu’au 17 juin, Théâtre du Loup, Genève.