«Que j’aime voir, chère indolente/de ton corps si beau/comme une étoffe vacillante/miroiter la peau.» Entre chaque vers, le silence est lesté d’un beat puissant. Flanqué d’une ligne de basse, d’une plainte de saxophone et du pépiement distordu d’un synthé. Passé la surprise, le son enveloppe, porte le poème. Et Le serpent qui danse de Baudelaire d’onduler comme jamais.

C’est que, depuis un an, deux artistes genevois se sont mis en tête de titiller la bête. Guillaume Pidancet, auteur-chanteur-comédien, et Michaël Borcard, compositeur, ont décidé de sortir la poésie des bibliothèques pour l’apprêter à leur sauce, de type électro-progressive. Pour un piquant mélange des genres.

Chimères et boucles sonores

Le Projet XVII est né d’une inspiration soudaine un soir de printemps 2017, autour d’un verre de rhum précisément. Guillaume Pidancet, qui a déjà de multiples projets à son actif dont le groupe de chansons à texte Capitaine Etc., se sent soudain l’envie d’explorer en musique le champ littéraire. Très vite, les œuvres du poète français, disparu il y a 150 ans exactement, s’imposent comme une évidence. «J’ai découvert Baudelaire à 15 ou 16 ans au collège, avec un prof de français dont je buvais les paroles. Cette première rencontre avec la poésie m’a marqué.»

Il recrute alors Michaël Borcard, ami de longue date, as du saxophone et de l’arrangement musical, et s’isole avec lui, un barda d’instruments et une cinquantaine de poèmes pendant une semaine. Issus principalement des Petits poèmes en prose, des Fleurs du mal et de ses annexes, les textes sélectionnés sont de ceux qu’on met plus rarement en lumière. «Tout le monde connaît Baudelaire mais souvent, ça se limite à L’albatros et au Spleen, note Guillaume Pidancet. L’idée était de ne pas tomber dans cet écueil de la facilité.»

Alors les deux compères s’emparent de Chacun sa chimère, qui raconte la rencontre du poète avec une procession d’hommes courbés, ployant sous le poids des bêtes monstrueuses qu’ils portent sur le dos sans trop savoir pourquoi. Un pamphlet grinçant sur la condition de l’homme que Guillaume Pidancet déclame, ni slam, ni théâtre. «Plutôt comme un conteur», note l’intéressé. Dialoguant avec la métrique, Michaël Borcard imagine des boucles obsédantes, enregistrées et modulées en direct grâce à une pédale loop. On est pris dans le flot des sons et des mots.

Résonance actuelle

Suivront ensuite Les vocations, sur une douce litanie de cordes, L’horloge, quelque part entre le tube de Philippe Katerine et la bande-son de jeu vidéo, ou encore Enivrez-vous, à l’arrangement flottant comme l’éther. Au total, une dizaine de poèmes se retrouvent habillés de créations qui leur vont comme un gant. Car plutôt qu’un bruit de fond, qu’un simple accompagnement à la lecture, les compositions de Michaël Borcard se veulent narratives, bruissantes de symboles qu’on ne perçoit qu’en tendant l’oreille. «Dans Les tentations, chaque ligne mélodique correspond à un personnage. Et dans Horloge, j’ai caché de discrets tic-tac de chrono, sourit l’artiste. Même seule, la musique doit avoir un sens.»

Car, au-delà de l’exploration musicale, c’est aussi le sens qui intéresse les deux artistes, celui d’une œuvre centenaire à la résonance profondément actuelle. «Chacun sa chimère, par exemple, décrit ces hommes qui marchent avec peine mais ne sont pas en colère. Ça nous rappelle qu’un des plus grands dangers modernes, c’est l’indifférence et l’ignorance. Et qu’on a encore besoin de creuser nos rêves.»

Un message que les Genevois souhaitent transmettre, aux plus jeunes notamment. Sur l’initiative du DIP, le Projet XVII a ramené ses synthés dans les cycles d’orientation genevois pour leur parler de Baudelaire autrement. «Histoire de leur rappeler que la poésie, ce n’est pas juste un exercice de grammaire. Et que ce n’est pas si différent des textes de rap qu’ils écoutent constamment. Certains ont été réceptifs, d’autres moins, mais ça a ouvert le dialogue.»

Acte militant

Il faut parler de la poésie, la faire vivre aussi. Pour Guillaume Pidancet et Michaël Borcard, c’est un acte quasi militant. «On n’était pas partis pour faire quelque chose à la mode. Artistiquement, c’est important de créer autre chose, de faire un pas de côté. La poésie aujourd’hui, c’en est un.»

L’audace aura séduit. Fort d’un an de tournée et d’un album sorti en mai dernier, Projet XVII continue de balader ses vers rythmés aux quatre coins de la Suisse romande. Outre ses représentations au festival neuchâtelois Poésie en arrosoir, jeudi et vendredi, il investira, sur invitation d’Omar Porras, les planches du Théâtre Kléber-Méleau à Renens en mars prochain, après un passage au bout du lac dans le cadre de Poésie en ville. Guillaume Pidancet confie même avoir été contacté par des manifestations belges et canadiennes. Baudelaire et électro font un bien heureux duo.


Projet XVII: Baudelaire. Jeudi 19 et vendredi 20 juillet à 19h, Evologia (NE), dans le cadre du festival Poésie en arrosoir.


Poésie à Cernier

Niché dans le cœur boisé d’Evologia (NE) jusqu’à la fin de la semaine, le festival Poésie en arrosoir a encore de jolis rendez-vous au programme, qui permettent d’explorer le langage avec légèreté.

Vendredi, Panache! proposera un florilège des plus belles tirades de théâtre, de Lorenzaccio à Cyrano de Bergerac. Samedi et dimanche, la performance Blablabla, par l’Encyclopédie de la parole, mêlera extraits sonores aux mots de la comédienne Armelle Dousset qui, en jonglant avec les timbres, les intonations et les accents, donne corps à un tourbillon de parole jubilatoire.

Durant tout le week-end, un atelier permettra également aux petits et grands festivaliers d’explorer leurs talents de poète à partir du texte de La prose du Transsibérien, de Blaise Cendrars, entourés d’un comédien et d’un musicien confirmés.