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Si elle s’est penchée sur le destin bref de Barbara Loden, actrice américaine et réalisatrice d’un seul film, Wanda, décédée en 1980 à 38 ans, c’est qu’on lui a commandé une notice pour un dictionnaire de cinéma. Elle aurait pu synthétiser des coupures de presse. Elle est partie sur les traces de son sujet, aux Etats-Unis, a visionné aussi des shows anciens où passait, comme un ange endeuillé, celle qui fut l’épouse du réalisateur et écrivain Elia Kazan. Au cours de ce voyage, elle a ruminé l’histoire de Wanda, celle que Barbara incarne: une épouse quitte mari et enfants, pour prendre la route, dans l’espoir d’une épiphanie. Un petit braqueur passera par-là, l’épiphanie sera amère.
Le lecteur, ce détective
Le livre mélange éléments d’enquête et apartés autobiographiques, comme si Nathalie Léger se délestait en chemin du poids des non-dits, comme si des tristesses toujours suspendues finissaient par se déposer dans un sillon d’encre. Ecrire, comme lire, c’est se laisser porter par l’écho. C’est précisément là qu’on retrouve Céline Nidegger, dans sa robe aux mille et une fleurs – on dirait le jardin de Claude Monet à Giverny. Elle vous parle devant des tentures blanches en enfilade qui tombent du ciel comme de grandes vagues.
Avec une application très théâtrale d’abord, elle libère les mots de Léger. Avant de bifurquer et de s’adresser à vous comme à un complice de fortune. Généalogie Léger est une œuvre arborescente – c’est annoncé dans le titre. Wanda, l’héroïne de la fiction, est évoquée, bien sûr. Le dessinateur et écrivain franco-suisse Frédéric Pajak, auteur magnifique du Manifeste incertain – une autre forme de filature –, est cité. L’acteur Harry Dean Stanton, identifié à jamais à Paris Texas de Wim Wenders, revit aussi à la faveur d’une diversion.
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Les digressions sont de choix. Et on ne sait plus très bien ce qui appartient à Nathalie Léger ou à ses lecteurs – Dorothée Thébert et Jonas Bühler cosignent la réalisation. Certitude: Céline Nidegger se dessine à travers ces figures, comme en ombres chinoises. Tout cela forme un arbre généalogique aérien, un feuilleté qui a à voir avec le métier de rêver ses lectures, c’est-à-dire de les rejouer à perdre haleine.
Exprimer l’inexprimable. C’est le vœu de Manon Krüttli et de Céline Nidegger. A un autre moment, celle-ci s’attarde sur la tendresse, cette douceur sans mièvrerie qui est une forme de signature. Généalogie Léger possède cette qualité: il vous accueille dans son mouvement. Vivement la suite.
«Généalogie Léger», Genève, Le Grütli, jusqu’au 11 septembre. www.grutli.ch